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Le Fils des Dragons
Morgan Rice


Le Temps des Sorciers #3
“Tous les ingrédients d'un bestseller : énigmes, rebondissements, mystère, preux chevaliers, amours naissants et cœurs brisés, déception et trahison. Des heures de lecture à tout âge. Vivement recommandé pour tous les inconditionnels de fantasy.”

–-Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (L'Anneau du Sorcier)



“Les prémices d'une série prometteuse.”

–-San Francisco Book Review (La Quête des Héros)



Morgan Rice, auteur du bestseller La QuГЄte des HГ©ros (plus de 1.300 commentaires cinq Г©toiles) revient avec une toute nouvelle saga de Fantasy.



LE FILS DES DRAGONS (Le Temps des Sorciers – Tome Trois)

Lenore réintègre le Royaume du Nord saine et sauve – non sans avoir payé un lourd tribut. Son frère Rodry est mort et son père, le Roi Godwin, est dans le coma. La souveraineté du Royaume du Nord est compromise, son frère, le perfide Vars, risque d'en profiter pour accéder au trône.



Mais Vars est un lâche, le roi Ravin, remis de sa défaite, projette d'envahir le Sud. Marées et canaux protègent la capitale du Nord, toujours invaincue – Ravin risque d'y perdre bon nombre d'hommes.



Une bataille mГ©morable approche Г  grands pas.



Devin doit découvrir sa véritable identité et forger l'Epée Inachevée – mais il est distrait, amoureux fou de Lenore, prisonnière d'un mariage malheureux. Sa vie est en péril.



Renard a brillamment subtilisГ© l'amulette capable de maГ®triser les dragons. Il fuit l'Homme Г  la Capuche, bien dГ©terminГ© Г  rГ©cupГ©rer son bien.



A son rГ©veil Nerra, se retrouve mГ©tamorphosГ©e en une crГ©ature de toute beautГ©, monstrueuse, puissante et mГ©connaissable. L'Г©lue qui sauvera la race des dragons ?



LE TEMPS DES SORCIERS, une histoire mГЄlant amour, passion, rivalitГ© fraternelle ; trГ©sors cachГ©s et malfrats ; moines et mercenaires ; honneur et gloire, trahison, hasard et destinГ©e. Un rГ©cit qui vous tiendra en haleines des heures durant, dГ©couvrez un nouveau monde, tombez sous le charme de protagonistes inoubliables. Tout public.



Tome 4 bientГґt disponible en prГ©commande



“La fantasy tambour battant …. Les prémices d'une série prometteuse pour jeunes adultes.”

–-Midwest Book Review (La Quête des Héros)



“Un concentré d'action …. Rice et son style éblouissant, une énigme qui tient en haleine.”

–-Publishers Weekly (La Quête des Héros)





Morgan Rice

LE FILS DES DRAGONS




LE FILS DES DRAGONS




(LE TEMPS DES SORCIERS – TOME TROIS)




MORGAN RICE



Morgan Rice

Morgan Rice est bestseller et meilleure autrice d'après USA Today grâce à la série de fantasy L'ANNEAU DU SORCIER, dix-sept tomes ; bestseller avec MEMOIRES D'UN VAMPIRE, douze tomes ; bestseller avec LA TRILOGIE DES RESCAPÉS, thriller post-apocalyptique comprenant trois tomes ; la fantasy ROIS ET SORCIERS, six tomes ; la fantasy DE COURONNES ET DE GLOIRE, huit tomes ; la fantasy UN TRÔNE POUR DES SŒURS, huit tomes ; une nouvelle série de science-fiction, LES CHRONIQUES DE L’INVASION, en quatre tomes ; la fantasy OLIVER BLUE À L’ÉCOLE DES PROPHÈTES, quatre tomes ; la fantasy LE FIL DE L'ÉPÉE, quatre tomes ; et une nouvelle série de fantasy LE TEMPS DES SORCIERS. Les ouvrages de Morgan sont disponibles en livres audio et brochés et traduits en plus de 25 langues.



Morgan adore vous lire, rendez-vous sur www.morganricebooks.com (http://www.morganricebooks.com/), recevez un livre gratuit et des cadeaux ; tГ©lГ©chargez l'application gratuite et recevez des infos en avant-premiГЁre, connectez-vous sur Facebook et Twitter, restons en contact !



Morgan Rice – Critiques

“Vous pensiez en avoir terminé avec la série L'ANNEAU DU SORCIER, vous aviez tort. Découvrez LE REVEIL DES DRAGONS, la nouvelle saga prometteuse de Morgan Rice, laissez-vous entraîner au pays des trolls et dragons, où sens des valeurs, honneur, courage, magie et destinée règnent en maître. Les personnages de Morgan nous envoûtent au fil des pages … vivement recommandé pour tous les inconditionnels de fantasy.”



В В В В --Books and Movie Reviews
В В В В Roberto Mattos



“Un mélange de fantasy et d'action qui séduira les lecteurs de Morgan Rice et Christopher Paolini, auteur de L'HERITAGE … Les fans de fictions pour jeunes adultes vont littéralement dévorer le dernier opus de Rice.”



В В В В --The Wanderer, A Literary Journal (Le RГ©veil des Dragons)



“Un ouvrage de fantasy de haut vol mêlant complot et mystère. La Quête des Héros aborde les thèmes du courage et du succès, l'âge adulte, la maturité, l'excellence … Réservé aux fans de fantasy, les protagonistes mêlent astuces et scènes d'action, abordant le passage du jeune Thor à l'âge adulte, une vie placée sous le signe de la chance …. prémices d'une série prometteuse pour jeunes adultes.”



В В В В --Midwest Book Review (D. Donovan, eBook Reviewer)



“L'ANNEAU DU SORCIER comporte tous les ingrédients d'une recette à succès : intrigues, complots, mystères, preux chevaliers, amours naissantes et cœurs brisés, déception et trahison. Des heures de lecture, à tout âge. Chaudement recommandé pour tous les amoureux de fantasy.”



В В В В --Books and Movie Reviews, Roberto Mattos



“Avec ce premier tome "action" de la série de fantasy L'Anneau du Sorcier (14 tomes), Rice nous présente le jeune Thorgrin "Thor" McLeod, qui, à 14 ans, rêve d'intégrer la prestigieuse Légion d'Argent, les chevaliers d'élite du roi …. Une prose et une intrigue riches en rebondissements, Rice en majesté.”



В В В В --Publishers Weekly



Livres par Morgan Rice

LE TEMPS DES SORCIERS

LE ROYAUME DES DRAGONS (Tome 1)

LE TRГ”NE DES DRAGONS (Tome 2)

LE FILS DES DRAGONS (Tome 3)



OLIVER BLUE A L’ECOLE DES PROPHÈTES

LA FABRIQUE MAGIQUE (Tome 1)

L’ORBE DE KANDRA (Tome 2)

LES OBSIDIENNES (Tome 3)

LE SCEPTRE DE FEU (Tome 4)



LES CHRONIQUES DE L’INVASION

ATTAQUE EXTRATERRESTRE (Tome 1)

ARRIVÉE (Tome 2)

ASCENSION (Tome 3)

RETOUR (Tome 4)



LE FIL DE L’ÉPÉE

LES PLUS MÉRITANTS (Tome 1)

LES PLUS VAILLANTS (Tome 2)

LES DESTINÉS (Tome 3)

LES PLUS TÉMÉRAIRES (Tome 4)



UN TRГ”NE POUR DES SЕ’URS

UN TRГ”NE POUR DES SЕ’URS (Tome 1)

UNE COUR DE VOLEURS (Tome 2)

UNE CHANSON POUR DES ORPHELINES (Tome 3)

UN CHANT FUNГ€BRE POUR DES PRINCES (Tome 4)

UN JOYAU POUR LA COUR (Tome 5)

UN BAISER POUR DES REINES (Tome 6)

UNE COURONNE POUR DES ASSASSINS (Tome 7)

UNE ÉTREINTE POUR DES HÉRITIÈRES (Tome 8)



DE COURONNES ET DE GLOIRE

ESCLAVE, GUERRIГ€RE, REINE (Tome 1)

CANAILLE, PRISONNIГ€RE, PRINCESSE (Tome 2)

CHEVALIER, HÉRITIER, PRINCE (Tome 3)

REBELLE, PION, ROI (Tome 4)

SOLDAT, FRГ€RE, SORCIER (Tome 5)

HÉROÏNE, TRAÎTRESSE, FILLE (Tome 6)

SOUVERAIN, RIVALE, EXILÉE (Tome 7)

VAINQUEUR, VAINCU, FILS (Tome 8)



ROIS ET SORCIERS

LE RÉVEIL DES DRAGONS (Tome 1)

LE RÉVEIL DU VAILLANT (Tome 2)

LE POIDS DE L’HONNEUR (Tome 3)

UNE FORGE DE BRAVOURE (Tome 4)

UN ROYAUME D’OMBRES (Tome 5)

LA NUIT DES BRAVES (Tome 6)



ROIS ET SORCIERS : NOUVELLE



L’ANNEAU DU SORCIER

LA QUÊTE DES HÉROS (Tome 1)

LA MARCHE DES ROIS (Tome 2)

LE DESTIN DES DRAGONS (Tome 3)

UN CRI D’HONNEUR (Tome 4)

UNE PROMESSE DE GLOIRE (Tome 5)

UN PRIX DE COURAGE (Tome 6)

UN RITE D’ÉPÉES (Tome 7)

UNE CONCESSION D’ARMES (Tome 8)

UN CIEL ENSORCELE (Tome 9)

UNE MER DE BOUCLIERS (Tome 10)

UN RГ€GNE DE FER (Tome 11)

UNE TERRE DE FEU (Tome 12)

UNE LOI DE REINES (Tome 13)

LE SERMENT DES FRГ€RES (Tome 14)

UN RГЉVE DE MORTELS (Tome 15)

UNE JOUTE DE CHEVALIERS (Tome 16)

LE DON DU COMBAT (Tome 17)



TRILOGIE DES RESCAPÉS

ARENE UN: LA CHASSE AUX ESCLAVES (Tome 1)

DEUXIEME ARENE (Tome 2)

ARГ€NE TROIS (Tome 3)



LES VAMPIRES DÉCHUS

AVANT L’AUBE (Tome 1)



MEMOIRES D'UN VAMPIRE

TRANSFORMATION (Tome 1)

ADORATION (Tome 2)

TRAHISON (Tome 3)

PREDESTINATION (Tome 4)

DÉSIR (Tome 5)

FIANÇAILLES (Tome 6)

SERMENT (Tome 7)

TROUVÉE (Tome 8)

RENÉE (Tome 9)

ARDEMMENT DÉSIRÉE (Tome 10)

SOUMISE AU DESTIN (Tome 11)

OBSESSION (Tome 12)


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Copyright В© 2020 by Morgan Rice. Tous droits rГ©servГ©s. Sauf autorisation selon Copyright Act de 1976 des U.S.A., cette publication ne peut ГЄtre reproduite, distribuГ©e ou transmise par quelque moyen que ce soit, stockГ©e sur une base de donnГ©es ou stockage de donnГ©es sans permission prГ©alable de l'auteur. Cet ebook est destinГ© Г  un usage strictement personnel. Cet ebook ne peut ГЄtre vendu ou cГ©dГ© Г  des tiers. Vous souhaitez partager ce livre avec un tiers, nous vous remercions d'en acheter un exemplaire. Vous lisez ce livre sans l'avoir achetГ©, ce livre n'a pas Г©tГ© achetГ© pour votre propre utilisation, retournez-le et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s'agit d'une Е“uvre de fiction. Les noms, personnages, sociГ©tГ©s, organisations, lieux, Г©vГЁnements ou incidents sont issus de l'imagination de l'auteur et/ou utilisГ©s en tant que fiction. Toute ressemblance avec des personnes actuelles, vivantes ou dГ©cГ©dГ©es, serait purement fortuite. Photo de couverture Copyright Aphelleon sous licence istockphoto.com.




CHAPITRE UN


La Reine Aethe s'agenouilla auprès de son mari et contempla sa silhouette inerte parmi ses larmes. En proie au chagrin elle avait perdu la notion du temps, le jour et la nuit ne faisaient plus qu'un, la nourriture que les serviteurs la suppliaient d’avaler avait un goût de cendres.

La piГЁce Г©tait richement dГ©corГ©e, ornГ©e de tentures murales et de meubles en bois prГ©cieux provenant de tout le Royaume du Nord. Les coupes en or et les soieries ne faisaient aucune diffГ©rence. Tout Г©tait gris et mort depuis que Godwin reposait, immobile, dans son lit.

"Quand se rГ©veillera-t-il ?" demanda-t-elle au Docteur Jarran, qui se borna Г  secouer la tГЄte et Г©carter ses doigts boudinГ©s.

"J'ai pansГ© ses blessures du mieux que j'ai pu. Pour le reste, je regrette, je ne dГ©tiens pas la rГ©ponse."

"Alors Г  quoi servez-vous ?" demanda la Reine Aethe, son chagrin se muait en colГЁre, dГ©sormais son seul rГ©confort. "Vous avez Г©chouГ© Г  guГ©rir ma fille. Vous ne pouvez pas soigner mon mari. A quoi servez-vous ? Sortez ! Retournez Г  vos incisions de furoncles et vos points de suture !"

Des mots durs, mais la vie était dure. Le monde était devenu un univers peuplé d'ombres inquiétantes qui la vidaient de ses forces, lui rendait la vie difficile. Personne ne pouvait réconforter Aethe en pareils moments. Bien que son époux soit entouré de serviteurs et de gardes, Aethe se sentait aussi seule qu’abandonnée en pleine nature.

"Pourquoi personne ne peut l'aider ?" se demandait-elle, agenouillГ©e prГЁs du lit, mais sa question demeura sans rГ©ponse. Personne n'osa. Une folle pensГ©e germa dans son esprit. "OГ№ est MaГ®tre Grey ?"

C'était peut-être une question à laquelle personne ne pouvait répondre. Qui savait où se trouvait le mage, ce qu'il ferait ? Au prix d'un grand effort Aethe s’afficha à l'une des fenêtres de la chambre, elle fixa la tour qui flanquait le château, essayant de l'apercevoir. Bien sûr, il n'y avait personne, personne n'était là pour sauver Godwin.

Elle contempla Royalsport en contrebas. Le cours d’eau sinueux de la cité était désormais à marée haute, la scindant en une multitude d'îles, chacune abritant un quartier d'habitation. Une muraille ceinturait la majeure partie de la cité mais une partie s'étendait à l'extérieur, tel le ventre d'un homme enrobé débordant de sa ceinture. Des maisons insalubres flanquaient les murs d'enceinte et s'étendaient jusque dans la campagne. Les grandes Maisons surplombaient la cité : l'imposante Maison des Marchands jouxtait le marché, la Maison des Soupirs avec ses couleurs vives régnait sur le quartier des plaisirs, la Maison des Lettrés dont les flèches s'élevaient en spirales, et la Maison des Armes dont les fours crachaient de la fumée, forgeant des armes qui engendreraient la violence.

Depuis son poste d’observation, Aethe pouvait déjà voir les signes de cette violence, les chevaliers et les soldats qui campaient à l'extérieur de la cité, la foule dans les rues comptaient encore plus d'hommes violents que d'habitude. Des hommes de la noblesse et les soldats du roi, les ducs ou comtes disposaient de douzaines d'hommes à lui prêter, soumis à sa volonté.

Aethe tourna le dos ; ce spectacle lui Г©tait insupportable. Elle ne supportait plus rien.

"RГ©veille-toi, mon Г©poux," dit-elle Г  voix basse en retournant prГЁs du lit. "Ton royaume a besoin de toi." Elle se pencha et dГ©posa un baiser sur son front. "J'ai besoin de toi."

Son mari n'Г©tait plus l'homme de jadis, l'Гўge avait fait grisonner ses cheveux, ses muscles s'Г©taient empГўtГ©s. Aethe y Г©tait habituГ©e, elle s'Г©tait faite Г  ces changements, les rides et les cheveux gris avaient modifiГ© son apparence. Non, il Г©tait d'une pГўleur mortelle, le teint presque aussi gris que sa barbe, son souffle, erratique. Le voir ainsi Г©tait au-dessus de ses forces.

Atrocement douloureux. Elle ne le supporterait pas davantage.

"Ne meurs pas. Rodry… ton fils est mort, Godwin." Aethe ne s'était jamais beaucoup préoccupée des fils de Godwin, ils lui rappelaient son premier mariage et combien il avait aimé sa première femme. Mais Rodry était le meilleur. Greave était étrange, obsédé par ses livres, quant à Vars … Aethe frissonna. "Quant à mes filles, Nerra est partie, et Erin guerroie comme un homme."

Ils avaient au moins sauvГ© Lenore. Elle Г©tait de retour, saine et sauve et mariГ©e, elle qui n'aurait jamais dГ» ГЄtre en danger, capturГ©e. Aethe espГ©rait simplement que son mariage avec Finnal serait heureux ; elle avait confiance, malgrГ© la crise de nerfs de sa fille le jour de ses noces.

Mais il leur faudrait affronter la menace du Royaume du Sud. Aethe Г©tait convaincue qu'aucune armГ©e ne pouvait traverser les eaux tumultueuses de la Slate, mais on disait que l'ennemi arrivait par l'est, via l'Ile de Leveros.

"Je t'en supplie, rГ©veille-toi," dit-elle en prenant la main de Godwin. "Je redoute ce qui risque de nous arriver si tu ne te rГ©veilles pas."

"Il n'y a rien à craindre," lança une voix depuis le seuil de la porte. "En tant que régent, j'ai la situation en main."

La Reine Aethe se retourna en entendant Vars pГ©nГ©trer dans la piГЁce.

Le fils de son époux ne ressemblait en rien à un roi. Il portait une couronne d'or, plus petit que son mari, plus faible d’apparence, les cheveux d’un brun terne, les traits grossiers. Ses vêtements étaient certes raffinés mais Aethe aperçut des taches de vin. Pire encore, elle n'avait jamais aimé Vars. Godwin n'aurait assurément jamais voulu qu'il règne à sa place.

"Comment en sommes-nous arrivГ©s lГ  ?" demanda Aethe, sachant que Vars partagerait son chagrin, mГЄme s'ils ne partageaient presque rien d'ordinaire. "Ma fille a Г©tГ© emmenГ©e vers le sud, ton frГЁre a Г©tГ© tuГ© ? Ton pГЁre est tombГ© au moment oГ№ le Royaume du Sud nous attaque ? Pourquoi ?"

Ce dernier point dГ©cupla le chagrin de Aethe. Que son mari soit tombГ© au combat Г©tait dГ©jГ  suffisamment grave, mais que tout arrive en mГЄme temps, c'en Г©tait trop. Comme si on l'avait anГ©antie, dГ©truisant tout derriГЁre elle. Vars parut Г©branlГ© Г  l'Г©vocation de tous ces malheurs.

"Il est impossible de juger," dit Vars. À la surprise d'Aethe, il se plaça à côté d'elle et posa une main sur son épaule. "Je soupçonne que tout a été manigancé par le Royaume du Sud. Oui, s'il y a quelqu'un à blâmer, c'est bien eux."

"Je leur en veux," rГ©torqua Aethe, elle bouillait de rage, d'un feu qui la consumerait pourvu qu'elle donne libre cours Г  sa colГЁre. "Je les rayerais de la carte aprГЁs tout ce qu'ils ont fait si c'Г©tait en mon pouvoir !"

"Des ГЄtres haГЇssables," affirma Vars.

"Tuer ton frère, kidnapper ta sœur…"

"Oui. Elle a heureusement Г©pousГ© Finnal."

"Effectivement," répondit Aethe, quelque peu soulagée. Lenore avait les nerfs à vif avant le mariage mais elle était convaincue que sa fille serait bientôt heureuse. "Et Godwin…"

"Nous ferons tout notre possible pour l'aider. Tout ce qui est envisageable."

"Pourrais-tu … pourrais-tu trouver Maître Grey ? Le médecin n'est d'aucune aide, peut-être qu'il…"

"Je veillerai Г  ce qu'il vienne ici. En attendant, je ferai en sorte que tout se passe pour le mieux."

"Je t'aiderai. Je ferai tout mon possible. Nous veillerons Г  la sГ©curitГ© du royaume ensemble. Pour Godwin."

Elle sentit ses larmes couler, dГ©faillit presque de faiblesse et de chagrin.

"Ce ne sera pas nГ©cessaire."

"Mais Vars—” commença Aethe. Elle avait besoin de faire quelque chose pour se sentir utile, être à nouveau partie prenante.

"L'Г©pouse de mon pГЁre est visiblement perdue," dit Vars en s'adressant aux deux gardes. Il ne l'avait pas appelГ©e "reine", remarqua Aethe. "Elle a besoin de repos. Escortez-la dans sa chambre et veillez Г  ce qu'on ne la dГ©range pas."

"Comment ? Je n'irais nulle part."

"Oh que si," insista Vars. "Tu es fatiguГ©e, dГ©semparГ©e. Repose-toi. C'est pour ton bien."

Seul hic, plus elle protestait, plus elle ressemblait Г  une Г©pouse Г©plorГ©e. Les gardes vinrent la chercher et la prirent par les bras. Elle se dГ©battit, rГ©solue Г  marcher seule, sans pouvoir arrГЄter les larmes qui ruisselaient sur son visage. Elle se retourna pour regarder Vars, penchГ© sur son mari. Comment en Г©tait-on arrivГ© lГ  ?

Pire encore, quel dГ©sastre attendait le royaume ?




CHAPITRE DEUX


Vars ne voyait pas l'heure de renvoyer Aethe depuis son arrivée au château, alors qu'il n'était encore qu'un enfant. La femme de son père, qui avait remplacé sa propre mère, avait longtemps été à l’origine de ses déceptions. Elle n'avait eu de cesse de rabâcher aux oreilles de son père, aussi longtemps qu'il s'en souvienne, que Vars était faible, lâche, indigne : que ses filles devaient prendre le pouvoir.

Elle s'était immiscée à plusieurs reprises dans leur conversation. L'avait interrogé sur la façon dont Lenore s'était retrouvée seule, suggérant manifestement qu'elle soupçonnait Vars d'avoir manqué à ses devoirs de gardien. Elle prétendait que ses propres enfants pourraient l'aider à gouverner, Vars savait mieux que quiconque qu'il s'agissait d'une manière détournée de le renverser. Vars risqua un sourire satisfait alors que les gardes emmenaient Aethe dans ses appartements.

"Que faites-vous tous ici ?" demanda-t-il aux gardes et serviteurs. Il constata qu'ils demeuraient lГ , immobiles. "Croyez-vous que mon pГЁre va s'asseoir et demander un verre de vin, ou faire la conversation ?"

La plupart d'entre eux se dГ©tournГЁrent devant ses paroles, comme s'ils refusaient d'Г©couter. Vars Г©tait le rГ©gent dГ©sormais, ils devaient l'Г©couter.

"Nous demeurons auprГЁs du roi par loyautГ©, Votre Altesse," dit l'un des serviteurs. "Au cas oГ№ il aurait besoin de notre aide."

"Quelle aide ? Le Docteur Jarran sortait d’ici à mon arrivée. Son aide est-elle opportune ? Non. Même le sorcier favori de mon père ne fait que marmonner dans sa tour. Et vous voudriez, tous combien vous êtes, lui venir en aide ? Sortez."

“Mais Votre Altesse —”

Vars s'en prit au serviteur. "Vous parlez de loyautГ©. Je suis le rГ©gent. Je m'exprime au nom du roi. Si vous faisiez preuve de loyautГ©, vous obГ©iriez. Mon pГЁre n'a pas besoin d'ГЄtre entourГ© de gardes ou de serviteurs. Partez, avant que je ne vous fasse sortir de force."

Vars savait pertinemment qu'aucun d'entre eux n'avait envie de partir, mais en vГ©ritГ©, il s'en fichait. Il avait constatГ© depuis fort longtemps dГ©jГ  que les gens ne faisaient que ce pour quoi ils Г©taient faits. Ceux qui parlaient d'honneur, de loyautГ© ou de patriotisme n'Г©taient que des menteurs prГ©tendant ГЄtre meilleurs que Vars.

Un des gardes fit halte alors qu'ils s’apprêtaient à sortir. "Et si le roi seréveillait, Votre Altesse ? L'un de nous ne devrait-il pas rester à ses côtés et vous informer le cas échéant ?"

Vars ne réprimanda pas l'homme, uniquement parce qu'il ne voulait pas être perçu comme un fils haïssant son père, ou comme un fou incapable de gouverner son royaume. Préserver les apparences, la vérité était secondaire.

"Ce n'est pas une mission pour vous. Cette tГўche conviendrait plus Г  un enfant." Une idГ©e germa dans son esprit. "Qui est le plus jeune page ici prГ©sent ?"

"Merin, Votre Altesse. Il a onze ans."

"Onze ans c'est bien assez grand pour veiller sur mon pГЁre au cas oГ№ il se rГ©veillerait et suffisamment jeune pour n'ГЄtre d'aucune utilitГ© ailleurs. Allez le chercher et retournez Г  vos obligations. Nous sommes en guerre, aprГЁs tout !"

Ces paroles suffirent à les faire réagir, les forcèrent à bouger, là où les capacités de commandement de Vars avaient échoué. Il les détestait. Il les haïssait encore plus qu’ils le détestaient. Il se rendit au chevet de son père malade, dévisagea la silhouette du Roi Godwin plongée dans le coma.

Il avait l'air si fragile, d’un teint de cendres, les muscles de son corps moins dessinés, couché sur le dos. Il paraissait plus âgé qu'avant, Vars le trouva moins impressionnant.

"Je crois que c'est la première fois que tu ne m'écrases pas de ta présence, que tu me dises à quel point je suis inutile," déclara Vars. Prononcer ces mots lui fit grand bien, même si son père ne pouvait l’entendre. Il n'aurait jamais eu le courage de parler si son père avait été éveillé, il n'aurait jamais osé.

Vars faisait les cent pas dans la chambre, songeant Г  tout ce qu'il avait toujours voulu dire Г  son pГЁre, tout ce qu'il avait en tГЄte, des rГ©flexions que la peur retenait captives. MГЄme maintenant, il avait du mal Г  s'exprimer, savoir que son pГЁre ne pouvait pas vraiment les entendre, ne pouvait rien, libГ©ra sa parole.

"On dit que tu peux en rГ©chapper, ou mourir. J'espГЁre que tu mourras. C'est tout ce que tu mГ©rites, vu le pГЁre que tu as Г©tГ©." Il dГ©visageait son pГЁre d'un air haineux. S'il avait eu le courage, il se serait emparГ© d'un oreiller et l'aurait plaquГ© sur son visage.

"Sais-tu ce que c'est, que de grandir avec un père pareil ? Rien de ce que je faisais n'était jamais assez bien pour toi. Rodry a toujours été le meilleur. Oh, tu l'aimais, lui, quand il ne s'en prenait pas aux ambassadeurs. Je suis bien aise que tu aies appris sa mort avant qu'on ne te poignarde. Et Nerra… qu'a-t-elle ressentit lorsque tu l'as forcée à partir ?"

Il n'y eut Г©videmment pas de rГ©ponse, pas l'ombre d'une rГ©ponse de la part de son pГЁre, inerte. Ce qui Г©tait d'autant plus grave, en fin de compte.

"Quand ma mГЁre est morte, tu t'es vite trouvГ© une nouvelle femme. Tes fils avaient besoin de toi, j'avais besoin de toi, mais tu as choisi d'Г©pouser Aethe, qui t'a donnГ© tes prГ©cieuses filles."

Il songea Г  toutes les fois oГ№ son pГЁre l'avait rГ©primandГ© tout en portant Nerra, Lenore et mГЄme Erin, aux nues.

"Tu as accordГ© tant d'attention Г  Lenore et Г  son stupide mariage, n'est-ce pas ? Tu as placГ© tant d'espoirs en elle. Sais-tu pourquoi tu gis ici ? Sais-tu pourquoi elle a Г©tГ© enlevГ©e ?" Vars s'arrГЄta et se pencha sur son pГЁre, suffisamment prГЁs pour chuchoter. "Ils l'ont capturГ©e parce que j'ai pris le mauvais chemin avec mes hommes. Je ne voulais pas perdre mon temps Г  la protГ©ger, alors que j'Г©tais le suivant dans l'ordre d'accession au trГґne. Je ne voulais pas rester Г  attendre pendant que la princesse idГ©ale se pavanait dans tout le royaume, Г©tait adulГ©e. Je l'ai laissГ©e seule, les hommes de Ravin l'ont capturГ©e, Rodry est mort en voulant la sauver."

Vars se redressa, éprouvant la profonde satisfaction d'avoir enfin vidé son sac, d’avoir dit à son père tout ce qu'il avait sur le cœur.

"Tu n'as eu de cesse de me rabaisser, regarde-moi maintenant. J’ai toujours fait ce que j'ai voulu, j'ai passé mon temps à la Maison des Soupirs et dans les auberges plutôt que dans ta fabuleuse Maison des Armes. C'est moi qui commande désormais, et je compte bien en profiter."

On frappa à la porte. Un serviteur entra suivi d'un jeune garçon aux cheveux blonds et au visage poupin, vêtu d'une chemise, d'une tunique et d'un collant bleu roi et or. Il semblait nerveux en présence de Vars, et esquissa une révérence parfaite. Vars remarqua qu'une de ses mains était petite et tordue, peut-être un accident survenu il y a longtemps. Vars s'en moquait.

"Tu es Merin ?"

"Oui, Votre Altesse," répondit le jeune garçon d'une petite voix effrayée.

"Sais-tu quel est ton rГґle ici ?"

Le garçon secoua la tête, manifestement trop effrayé pour répondre.

"Tu veilleras sur mon pГЁre. Tu lui apporteras ses repas, fera sa toilette, tu attendras de voir s'il se rГ©veille." Il ne lui demanda pas s'il en Г©tait capable ; il s'en fichait. "Est-ce clair ?"

"O-oui, Votre—”

"Bien," Vars lui coupa la parole. La réponse d’un garçonnet ne l'intéressait pas mais il tenait simplement à s'assurer que l'humiliation de son père soit complète. Vivre ou mourir, peu importe. Soit son père vivrait, et Vars savourerait sa petite revanche, soit il mourrait, auquel cas, Vars saurait qu'il avait réussi à rendre les derniers jours du vieux fou encore pires.

Il se tourna alors vers l'autre serviteur, qui se remit nerveusement au garde Г  vous. "Que faites-vous ici ? Je pensais vous avoir dit Г  tous de retourner Г  vos tГўches habituelles."

"Oui, Votre Altesse. Je suis venu parce que… parce que votre présence est requise."

"Ma prГ©sence est requise ?" Vars saisit l'homme par son col de chemise. C'Г©tait facile, il savait que le serviteur n'oserait pas le frapper, ce serait considГ©rГ© comme une trahison. "Je suis le rГ©gent. Le peuple n'a rien Г  exiger."

"Pardonnez-moi, Votre Altesse. C'est… c'est le terme qu'ils ont utilisé quand ils m'ont envoyé vous chercher."

Le terme "chercher" le disputait Г  "requise." Vars envisageait de frapper l'homme mais se retint de justesse, son rang lui dictait de rester Г  sa place, Vars ne voulait pas recevoir de mauvais coup, quelles que soient ses envies de vengeance.

"Qui vous envoie, et pourquoi ? Qui se croit permis de donner des ordres en mon chГўteau ?"

"Les nobles, Votre Altesse. Ils se concertent…" Il semblait réfléchir aux termes exacts qu'on lui avait demandé de transmettre. "… ils se concertent afin de débattre de l'invasion du Royaume du Sud et décider d'une réponse commune. Les nobles et les chevaliers sont présents. La réunion se déroule dans le grand salon en ce moment-même."

Vars Г©carta l'homme du milieu, soudain en proie Г  la colГЁre. Comment osaient-ils ? Comment osaient-ils profiter de ce moment oГ№ le pouvoir du royaume Г©tait enfin entre ses mains pour tenter de le rabaisser ?

Il savait oГ№ ils voulaient en venir, bien qu'on le lui ait tu. La noblesse le mettait Г  l'Г©preuve, le traitant comme s'il n'Г©tait pas un vrai roi, pas un souverain aussi puissant que son pГЁre. Ils essayaient d'en faire une marionnette, un homme de paille qu'ils pourraient commander et contrГґler, un serviteur et un rГ©gnant. Ils croyaient pouvoir lui dicter sa conduite, dГ©cider entre eux, Vars se verrait rГ©duit Г  ГЄtre une simple tГЄte couronnГ©e, sagement assis sur son trГґne.

Rira bien qui rira le dernier. Vars leur montrerait qu'ils avaient tort.




CHAPITRE TROIS


Toute sa vie durant, Lenore s'Г©tait montrГ©e parfaite, docile et obГ©issante. La princesse idГ©ale, tandis que ses sЕ“urs en faisaient toujours plus ou moins Г  leur tГЄte. Nerra Г©tait toujours la premiГЁre Г  arpenter la forГЄt, tandis qu'Erin jouait aux petits soldats. Lenore Г©tait la seule Г  tenir son rГґle de princesse.

Mais elle faisait dГ©sormais qu'elle voulait.

"Etes-vous certaine de vouloir descendre en ville, madame ?" demanda Orianne, alors qu'elles se dirigeaient vers l'entrГ©e du chГўteau. "Y aller seules peut ГЄtre imprudent."

Un frisson s'empara de Lenore au souvenir de son enlГЁvement mais elle secoua la tГЄte.

"Le risque existe hors les murs mais Royalsport est un lieu sГ»r. De plus, nous prendrons un garde." Elle en choisit un. "Vous, nous escorterez-vous en ville ?"

"A vos ordres, Votre Altesse."

"Pourquoi aller dans la citГ© ?" demanda Orianne. "Vous ne vous y rendez que trГЁs rarement."

C'était la vérité. De toute sa famille, Lenore était celle qui avait passé le moins de temps hors du vase clos de la cour royale. Mais rester cloîtrée ici lui devenait désormais insupportable. Elle ne pouvait plus supporter de rester avec tous ces gens qui la félicitaient pour son mariage, pendant que son père était à l'article de la mort et que sa mère, en deuil, n’était plus que l'ombre d'elle-même. Elle ne pouvait pas supporter la présence de Finnal, bien qu'il exige qu'elle demeure à ses côtés.

Il y avait une autre raison : elle croyait avoir vu Devin descendre en ville de temps Г  autre, il s'y trouverait peut-ГЄtre. Pouvoir lui parler Г  nouveau fit battre ce cЕ“ur que Lenore croyait mort. Penser Г  lui, Г  sa gentillesse, lui redonnait le sourire, contrairement Г  son mari.

"Nous descendrons et montrerons au peuple que nous sommes lГ  pour eux, malgrГ© la pГ©riode de deuil," dГ©clara Lenore.

Elle partit avec Orianne et le garde dans son sillage, passa devant les gardes postés près des portes, avant de se frayer un chemin en direction du ventre de la cité. Lenore admirait les habitations de part et d'autre, leur hauteur et leur magnificence, perçut l'air chargé de parfums, sentit les pavés sous ses pieds. Elle aurait pu monter en carrosse mais cela l'aurait tenue à l'écart de la cité. La dernière fois qu'elle était monté en calèche remontait à sa procession de noces, Lenore essaya de refouler ces souvenirs, de ne point les revivre.

Elle se dirigea vers un quartier agrГ©able Г©maillГ© de jardins non loin du chГўteau, les demeures appartenaient visiblement Г  la noblesse, les rues Г©taient propres et peu frГ©quentГ©es. Mais ce n'est pas ce que Lenore recherchait. Elle savait que Devin Г©tait probablement originaire d'un quartier beaucoup plus pauvre, elle voulait constater de visu le vrai visage de Royalsport.

"Etes-vous certaine de vouloir aller dans cette direction, Lenore ?" demanda Orianne alors qu'ils franchissaient un pont pour atteindre une zone nettement plus pauvre, les maisons Г©taient moins espacГ©es, la population plus encline Г  travailler qu'Г  paresser. La fumГ©e de la Maison des Armes montait, droite, vers le ciel.

"Ma place est ici. Je veux voir le vrai visage de la citГ©."

Ce serait d'autant mieux si d'aventure elle tombait sur Devin chemin faisant. Lenore devait avouer que son cœur s'emballait à chaque fois qu'elle l’apercevait. Bien sûr, elle avait fait pareil avec Finnal, mais c'était différent. Devin n'était pas intéressé par conclure une union qui lui rapporterait des terres, d’horribles rumeurs ne circulaient pas sur son compte. Ce que Lenore avait vu ou entendu à son sujet prouvait qu'il était courageux et prévenant … le genre d'homme qu'elle aurait dû épouser, mais c'était impossible.

"Nous seront bientôt en vue de la Maison des Soupirs si nous continuons de la sorte," dit Orianne. Lenore l'apercevait par-dessus les toits, la bâtisse aux couleurs vives attirait le regard. Une idée lui traversa l’esprit.

"Tu devrais y aller," dit-elle à sa bonne. "Parler à … notre amie. La rassurer quant à nos intentions."

"Vous en ГЄtes sГ»re ? Nous voir en pareil endroit peut s'avГ©rer dГ©licat."

"SГ»re certaine." Lenore connaissait dГ©sormais le vrai visage de Finnal ; elle avait besoin de tous les alliГ©s possibles, mГЄme issus de lieux qui l'auraient fait rougir, rien qu'Г  y penser.

"Comme il vous plaira, madameВ В», Orianne fit la rГ©vГ©rence et se hГўta.

Lenore se retrouva Г  flГўner dans les rues avec le garde. Lenore errait sans but ; se promenait librement, lГ  oГ№ elle le souhaitait.

Elle se baladait lorsqu'elle entendit des pas derrière eux. Lenore fronça les sourcils et se retourna vers le garde.

"Vous avez entendu ?"

"Entendu quoi, Votre Altesse ?"

Sa peur reprenait sans doute le dessus, peur certainement liée au fait de se retrouver en un lieu inconnu, mais non. Elle était malgré tout persuadée d'entendre à nouveau des bruits de pas, croyait avoir aperçu une silhouette quelque part derrière son épaule, un individu qui la suivait dans les rues de la cité, parmi les passants. Lenore pressa le pas.

Elle tourna Г  l'angle au hasard Г  plusieurs reprises, se maudit alors qu'elle et son gardien atterrissaient dans une impasse, une cour tranquille entourГ©e de maisons. Elle se retourna, un homme s'approcha, vГЄtu de sombre, un couteau Г  la ceinture, il arborait l'insigne des hommes du Duc Viris ; les sbires de Finnal.

Lenore aurait dГ» pousser un soupir de soulagement Г  la vue de cet homme, acquis Г  son mari, il ne s'agissait pas d'un voyou susceptible de la voler. Lenore sentit nГ©anmoins une certaine apprГ©hension monter peu Г  peu.

"Que faites-vous ici ? Qui ГЄtes-vous ?"

"Mon nom est Higgis, Votre Altesse," dit l'homme en faisant la rГ©vГ©rence. "Un serviteur, votre Г©poux m'a remis des instructions."

"Quelles instructions ?"

L'homme acheva sa révérence, le couteau à la main, s'approcha du garde de Lenore qu’il poignarda à deux reprises. Lenore tressaillit et se plaqua contre le bâtiment le plus proche, mais l'homme se posta entre elle et la sortie donnant sur la cour, bloquant toute issue.

"J'ai Г©tГ© envoyГ© pour vous sauver des voyous qui vous ont attaquГ©e." Il essuya et rangea son couteau. "Ils ont tuГ© votre garde et vous ont molestГ© avant de vous dГ©trousser. Tout cela parce que vous n'avez pas suivi les recommandations de votre Г©poux, Г  savoir, rester Г  votre place. Il se verra par consГ©quent contraint de vous emmener hors de la citГ© durant votre convalescence."

Le serviteur avança en faisant craquer ses jointures.

"Vous frapperiez vraiment une princesse ? Je vous ferai pendre."

"Non, Votre Altesse. Certainement pas, votre mari me rГ©compensera, comme il l'a dГ©jГ  fait par le passГ©. Je serais tentГ© de dire que la chose serait plus aisГ©e si vous vous teniez tranquille, mais je mentirais."

Il leva son poing, Lenore crut, l'espace d'un instant, que son avenir ne rimait qu’avec douleur. Puis une deuxième silhouette, plus petite, fit irruption devant l'homme dans la cour, s'interposa entre Lenore et son agresseur.

"Erin ?"

Sa sЕ“ur faisait tournoyer son bГўton d'un air dГ©sinvolte en attendant. Le serviteur de Finnal se prГ©cipita vers elle sans hГ©siter. Erin attendit le dernier moment avant de s'Г©carter, puis abattit son bГўton dans le ventre, les genoux et sur le crГўne de l'homme. L'arme semblait frapper partout Г  la fois, Г  telle vitesse qu'un flou s'instaura, ponctuГ© par le craquement du bois sur son bras.

Le serviteur recula et sortit de nouveau son couteau. Erin s'élança avec son bâton, frappa au niveau du poignet, Lenore entendit distinctement l'os craquer alors que l'arme entrait en contact. L'homme hurla, trébucha, se retourna et courut. Lenore crut que sa sœur le poursuivrait mais elle s'arrêta et se tourna vers elle.

"Tout va bien ? Il t'a fait mal ?"

Lenore secoua la tête. "Pas à moi, mais mon garde…" Elle contempla, sous le choc, les yeux vitreux du garde. Un bien pénible souvenir. "Que fais-tu ici, Erin ?"

"J’ai imaginé te suivre dans la cité. J'ai fait une pause dans mon entraînement avec Odd. J'ai vu cet individu te prendre en filature, je voulais en avoir le cœur net." Elle regarda Lenore droit dans les yeux. "Que se passe-t-il, ma sœur ?"

"C'est …" Lenore essayait de s'exprimer d'une voix assurée. Elle ne devait pas faire preuve de faiblesse, ne pas trembler ni perdre ses moyens, contrairement à ce que Finnal croyait probablement. "C'est à cause de mon jeune époux."

"Finnal ?"

"Il est aussi malveillant que le dit la rumeur, Erin. Il ne se soucie que de ce qu'il peut retirer de notre union, ni de moi. Et … il a mandé cet homme pour me molester parce que j'ai quitté le château sans son accord."

Le visage d'Erin se fit impГ©nГ©trable. "Je le tuerai. Je l'Г©triperai et planterai sa tГЄte sur une pique."

"Non. C'est impossible. Tuer le fils du Duc Viris ? Ce serait la guerre civile."

"Que crois-tu que Г§a me fasse ?

"Г‡a me fait quelque chose Г  moi. Non, nous devons la jouer fine."

"Nous ?"

“Orianne, ma servante, connait bien Finnal. Elle nous aidera. Les autres aussi, Devin notamment.”

Lenore ignorait pourquoi son nom lui vint Г  l'esprit, et pourtant.

"C'est tout ?В В» demanda Erin, pensive. "C'est un bon dГ©but. Nous pourrions aller voir Vars."

"Il s'en fiche. Je trouverais le moyen de divorcer de Finnal si seulement Vars voulait bien m'Г©couter."

"Nous trouverons quelque chose qui saura le faire plier," renchГ©rit Erin.

Lenore secoua la tГЄte. "Г‡a ne sera pas facile."

Erin soupira. "Je sais. Mais je te jure, Lenore, que Finnal ne te fera plus jamais de mal. Plus personne. Désormais, j'irai où tu iras, et si on t'attaque … je serai à tes côtés et lui arracherai le cœur si besoin est."




CHAPITRE QUATRE


Nerra s'agenouilla prГЁs des eaux de la fontaine du temple, parmi les os des morts qui y avaient bu avant elle. Au-dessus, les flancs du volcan semblaient la regarder avec colГЁre, lui interdisant de tenter ce qu'elle s'apprГЄtait de faire. Elle contemplait, sur ses bras, les plaques aux zГ©brures sombres provoquГ©es par la maladie de l'homme de la pierre.

Elle refusait de mourir comme Lina. Mieux valait boire Г  cette source mortelle qu'attendre que la maladie ne rГ©clame son tribut, sur l'Г®le oГ№ l'avait amenГ©e son dragon. Voir mourir son amie Г©tait le catalyseur qui l'avait forcГ©e Г  atteindre ce temple, jusqu'Г  la fontaine qu'elle avait promis de ne pas approcher Г  Kleos, le gardien de l'Г®le.

Elle boirait de son eau. Elle but l'eau d'un long trait dans ses mains en coupe. Inutile de se contenter d'en boire une gorgГ©e, le moindre contact avec cette eau Г©tait censГ© donner la mort.

Elle n'osait espГ©rer que cela puisse signifier autre chose.

"Ils ne l'auraient pas appelГ© fontaine de guГ©rison pour rien," dit Nerra Г  voix haute, comme pour s'en persuader. "Ils n'auraient pas construit tout Г§a."

Pourquoi Г©difier un temple en pleine nature si le seul but Г©tait de tuer ceux qui y venaient ? Pourquoi s'ennuyer avec une fontaine, ou avec cette Г©trange sensation qui semblait la repousser de ces lieux aprГЁs avoir gravi les flancs du volcan ? Kleos, le gardien des malades, lui avait dit que boire signerait sa mort, que tout cela n'Г©tait qu'un moyen de laisser les individus atteints par la maladie du dragon s'Г©teindre Г  petit feu, Nerra espГ©rait qu'il avait tort, qu'il mentait, ou les deux.

Г‡a devait marcher. Il fallait que Г§a marche.

Nerra se leva et contempla l'Г®le autour d'elle, si proche du continent de Sarras, sans en faire toutefois totalement partie. Elle regarda le paysage volcanique dГ©chiquetГ© qu'elle avait traversГ©, la forГЄt environnante. D'ici, elle n'apercevait pas le petit village qui essayait d'abriter les malades et les mourants, ceux que la maladie transformerait peu Г  peu en crГ©atures monstrueuses ne connaissant que la faim et la mort. Ne valait-il pas mieux essayer, plutГґt que demeurer assise Г  attendre le triste sort du couteau de Kleos, lorsque son corps serait trop informe ?

Nerra demeurait dans l'expectative, essayait d'imaginer l'eau faire son ouvrage. Aurait-elle déjà dû en ressentir les effets ? Elle connaissait suffisamment bien les herbes pour savoir que les effets étaient rarement instantanés, mais elle s'attendait à ce que les eaux curatives soient toutefois—

Nerra poussa un cri de douleur, une douleur si forte et dГ©vorante qui la poussa Г  s'agenouiller de nouveau. Elle serra ses mains sur son ventre tandis que son corps se contorsionnait de douleur, ses cris se succГ©daient Г  un rythme si rapide qu'elle fut bientГґt Г  bout de souffle.

Kleos n'avait pas menti ; la fontaine Г©tait empoisonnГ©e. Nerra ressentait dГ©sormais les effets de l'eau, se frayer un chemin tel un serpent hГ©rissГ© d'Г©pines, brГ»ler sa trachГ©e comme si elle avalait du magma, et non de l'eau. Elle essaya de vomir, en pure verte ; elle n'arrivait pas Г  se dominer suffisamment pour y parvenir.

"Pitié …" cria Nerra.

Elle avait l'impression que son corps entier se dГ©chirait, muscle aprГЁs muscle, os aprГЁs os. Comme si chaque centimГЁtre carrГ© de son corps luttait avec le reste, dans une guerre oГ№ son organisme Г©tait le champ de bataille, les guerriers et l'Г©tendue stГ©rile qu'elle laisserait derriГЁre elle, une vie dГ©cimГ©e.

"Non…" hurla Nerra. Elle songea, à cet instant précis, à tout ce qu'elle avait été contrainte de laisser derrière elle au Royaume du Nord, tout ce qu'elle ne reverrait plus jamais tandis que ces eaux mortelles se déchaînaient et précipitaient sa mort. Elle songea à ses frères et sœurs, à l'élégante Lenore et à Erin la rebelle, à Rodry, toujours prompt à se battre pour défendre autrui et à Greave, si calme et posé. Elle eut même une pensée pour Vars.

Mais elle songea par-dessus tout au dragon qu'elle avait dГ©couvert. Dans son esprit, il avait grandi incroyablement vite, ses Г©cailles brillaient d'un reflet arc-en-ciel, ses larges ailes s'Г©tendaient tandis qu'il s'envolait vers les cieux. L'image Г©tait si nette que Nerra leva les yeux, s'attendant presque Г  le voir dans le ciel, comme cela avait Г©tГ© le cas lorsque les bandits s'Г©taient emparГ©s d'elle dans la forГЄt. Il l'avait amenГ©e jusqu'ici, pourquoi aller ailleurs ?

Mais elle était seule ; plus seule que jamais. Dans la forêt, il y avait les animaux, un sentiment de paix. Maintenant… seule demeurait cette douleur qui la terrassait, la faisait se contorsionner, l'anéantissait. Nerra sentit son bras se briser et poussa un hurlement de douleur, les muscles de ses doigts se contractaient si violemment qu'ils lui brisèrent les os.

Elle avait dГ» s'Г©vanouir de douleur, vit Г  nouveau le dragon, d'autres dragons, volant au-dessus de Sarras, des nuГ©es obscurcissaient le ciel. Ils tournoyaient au-dessus d'elle, elle Г©tait parmi eux, se repaissant de cette myriade de couleurs, noir et rouge, or et Г©meraude, et bien plus encore.

Elle Г©tait au sol Г  prГ©sent, Г©voluait parmi les vestiges de bГўtiments bien plus anciens que ceux existants au Royaume du Nord, des Г©difices comme surgis de terre, non bГўtis de main humaine. Elle crut distinguer des silhouettes Г©voluer parmi ces bГўtiments, ombres vacillantes au coin de ses yeux, mais elles se dispersaient Г  chaque fois qu'elle essayait de tourner la tГЄte pour mieux voir, disparaissaient dans le lointain, impossibles Г  apprГ©hender.

Nerra voulut les poursuivre mais elles se fondirent dans des tunnels aux parois qui semblaient se mouvoir et s'Г©tirer au fur et Г  mesure que Nerra y pГ©nГ©trait. Cette pierre vivante l'agrippait, l'attrapait et la pГ©trissait comme de l'argile jusqu'Г  ce que Nerra soit Г  bout de souffle, incapable de crier dans son rГЄve.

Elle fit la seule chose Г  laquelle elle ne s'attendait pas : elle se rГ©veilla.

Il lui était impossible de dire combien de temps s'était écoulé. Le soleil était encore haut dans le ciel, mais une douzaine de jours auraient pu s'écouler sans que Nerra le sache. Son corps était encore tourmenté au souvenir de la douleur atroce que cette eau lui avait fait subir, elle se sentait si faible que…

Non ; elle ne se sentait pas faible. Elle avait soif, faim, était fatiguée, mais pas faible. Au contraire, elle se sentait forte. Elle se tenait debout, et pour la première fois depuis ce qui lui parut un long moment, n'éprouvait aucune sensation de vertige. Malgré cela, Nerra faillit tomber. Les muscles de ses jambes étaient … bizarres. Différents.

MГЄme le monde autour d'elle paraissait autre, Г©trangement changГ©. Les couleurs semblaient avoir subtilement changГ©, comme si elle pouvait en voir plus, les odeurs de la forГЄt toute proche Г©taient si puissantes qu'elle pouvait presque les goГ»ter.

Mais pour l'instant, cela n'avait pas d'importance. Elle avait survécu, c'est tout ce qui importait. Serait-ce à dire … qu'elle était guérie ? Que la fontaine l'avait guérie ?

Nerra osait à peine espérer que ce soit vrai, qu'elle ait survécu alors que tant d'autres avaient succombé, l'espoir commençait à renaître. Elle était bel et bien vivante, cette horrible sensation d'os brisés avait disparu. Si elle était entière, être guérie serait trop demander ?

Puis, Nerra vit son bras. Un bras humain, non pas tordu comme les hideuses créatures difformes atteintes de la maladie du dragon au village, mais entièrement recouvert d'écailles irisées d'un bleu profond. Les muscles se mouvaient sous sa peau désormais bien plus épaisse, Nerra regarda mieux et aperçut clairement, avec une netteté effroyable, des serres au bout de ses doigts.

Elle poussa un hurlement, en Г©tat de choc devant son bras dГ©sormais pourvu de serres, griffa ses Г©cailles, ce qui ne fit qu'empirer les choses. Que lui arrivait-il, qu'Г©tait-elle devenue ? Elle avait l'impression de ne plus pouvoir respirer, cela n'avait rien Г  voir avec la maladie et tout avec l'Г©trangetГ© de la situation. Elle fit un pas en arriГЁre et recula vers la vasque. C'Г©tait plus fort qu'elle ; elle devait se regarder.

La crГ©ature qui se reflГ©tait dans l'eau n'avait rien Г  voir avec son apparence premiГЁre, n'Г©tait pas la chose disloquГ©e et tordue qu'elle avait tellement redoutГ© devenir. Nerra la dГ©visagea de longues secondes, incapable de comprendre, l'horreur, le choc et une certaine fascination se disputaient ses faveurs.

Sa peau était couverte d'écailles, ses yeux, jaunes, semblables à ceux d'un serpent, ses traits avaient tout d'un dragon, une symétrie et une beauté indéniables habitaient pourtant son visage. Nerra refusait sa nouvelle apparence, et quand bien même, quelque chose lui rappelait la Nerra d'alors. Des réminiscences de ses cheveux étaient toujours présentes, les mèches sur son front semblables à la crête d'un lézard. Son corps plus musclé couvert d'écailles était capable de se mouvoir de façon sinueuse grâce aux nouvelles jointures de ses articulations, mais elle n'avait rien d'un monstre.

"Oui, je suis un monstre !" s'exclama-t-elle Г  haute voix, sa voix Г©tait la seule partie de son corps qui n'ait pas changГ©. C'Г©tait encore pire en quelque sorte, cela n'amГ©liorait pas les choses. Comment cette partie d'elle pouvait demeurer, quand tout le reste Г©tait mГ©tamorphosГ© ? Une pensГ©e lui vint Г  l'esprit, aucun membre de sa famille ne la reconnaГ®trait dГ©sormais, elle avait tout perdu. Une fureur rapide, fulgurante, totale, s'empara d'elle, Nerra prit une pierre du temple et l'Г©crasa entre ses mains. Elle rГ©alisa, ce faisant, la force que cette nouvelle apparence lui confГ©rait.

Sa rage était omnipotente, Nerra la sentait écumer, bouillonner, s'emparer d'elle, la métamorphoser comme tous les individus au village, transformés en créatures dantesques. Nerra se révolta, refusait le choc, la douleur de la mutation qui sourdait en elle, refusait de devenir cette chose-là. Elle se cramponna au bord de la vasque, contempla l'eau fixement, se força à regarder cette version modifiée, jusqu'à la limite du supportable.

La fontaine ne l'avait ni tuГ©e ni guГ©rie, mais mГ©tamorphosГ©e. Elle avait agi comme le catalyseur de la transformation gГ©nГ©rГ©e par la maladie, l'avait transcendГ©e au-delГ  des silhouettes alambiquГ©es qu'elle engendrait habituellement, pour devenir un ГЄtre fluide et aГ©rien, mi-homme, mi-saurien.

Nerra ne savait que penser, comment surmonter le choc de ce nouveau corps, ce qu'elle Г©tait devenue. Elle ne comprenait pas, ne savait que faire. Elle avait besoin de savoir ce qui se passait et ce qui lui Г©tait arrivГ©, un seul endroit s'imposa Г  elle pour obtenir des rГ©ponses, un endroit oГ№ ils la tueraient pour ce qu'elle Г©tait.

Nerra avança à grandes enjambées sur les pentes du volcan en direction du village.




CHAPITRE CINQ


Suivre Finnal et ses sbires fut tГўche aisГ©e pour Erin ; aprГЁs tout, en tant que princesse, elle pouvait vaquer Г  son grГ© dans le chГўteau, personne n'osait s'y frotter en tant que chevalier, avec sa courte lance Г  la pointe affГ»tГ©e au cГґtГ©, de sorte qu'elle passait pour un bГўton.

Que verrait-on vraiment, en la regardant de près ? Une fille plus petite que ses sœurs, portant armure, des cheveux bruns coupés courts pour ne pas offrir de prise lors des combats, à l’expression déterminée. Personne ne devinerait de quoi il retournait, ne pourrait savoir où elle voulait en venir, deviner que tôt ou tard, elle prévoyait de ficher sa lance dans le cœur de Finnal. Les gens se bornaient à voir les princesses pour ce qu'elles étaient, sans voir plus loin que le bout de leur nez.

Les gens Г©taient stupides.

Pour l'instant, Erin ne faisait que suivre, se frayant un passage parmi la foule du chГўteau, des rassemblements de chevaliers aux groupes de serviteurs, tandis que Finnal traversait la cour en direction du grand salon. Des tentes avaient Г©tГ© dressГ©es dans la cour, Г  l'ombre des hautes murailles, des soldats campaient en attendant les ordres. D'aucuns Г©taient assis autour de feux de camp, Finnal s'arrГЄtait avec certains d'entre eux, blaguait et riait. Il distribua des piГЁces Г  certains, probablement pour essayer de s'attirer leur dГ©vouement.

Erin ne pouvait pas comprendre ce que sa sЕ“ur lui trouvait. Oh, il Г©tait plutГґt sГ©duisant de prime abord, gracieux et Г©lГ©gant, les pommettes hautes, le sourire aux lГЁvres. Il portait des vГЄtements sombres bordГ©s d'argent afin d'attirer les regards sur sa silhouette. Tous s'inclinaient assurГ©ment sur son passage, tel l'astre solaire Г©mergeant de derriГЁre un nuage. Mais Lenore mГ©ritait mieux ; elle mГ©ritait un homme qui l'aime d'amour sincГЁre.

Elle méritait un homme qui n'essaierait pas de l'épouser pour l’emprisonner, n’enverrait pas des malfrats à sa suite simplement parce qu'elle avait osé sortir. Finnal le paierait cher.

Erin sourit en voyant Finnal se frayer un chemin et traverser le grand salon en direction des écuries. Le château était une vraie fourmilière, trouver l’endroit adéquat pour une embuscade s'avérait délicat mais Erin était sûre d'y parvenir. Elle connaissait le lieu idéal.

Erin renonça à son idée de demeurer une ombre silencieuse et traversa la cour jusqu'à atteindre l'angle opposé à celui occupé par Finnal. Elle fit demi-tour, gravit une volée de marches en pierre jusqu'au niveau inférieur du mur d'enceinte et se faufila devant l'un des gardes qui veillait sur les îlots de la cité, avança à pas de loup et se glissa sur le toit des écuries.

Elle s'était cachée ici à maintes reprises dans sa jeunesse, la cachette était idéale pour éviter les leçons d'étiquette que sa mère tenait à lui inculquer, mais également parce qu'un trou ménagé dans la toiture lui permettait de voir les écuries. Erin espionnait les parties de chasse ou les chevaliers se préparant à parcourir le royaume, jalouse qu'ils en aient le droit, et pas elle. Elle s'empara de sa lance et observa, aux aguets.

Passerait-elle vraiment Г  l'acte ? La nervositГ© la gagnait, elle avait dГ©jГ  tuГ© mais jamais de sang-froid. Comptait-elle vraiment tuer le mari de sa sЕ“ur, le laisser pour mort dans les Г©curies ?

La rГ©ponse Г©tait pourtant simple : si elle ne s'en chargeait pas personnellement, alors qui le ferait ? Oh, Lenore avait parlГ© de sa servante qui tenterait quelque chose, trouverait une preuve qui les convaincraient de se dГ©barrasser de Finnal plus Г©lГ©gamment, mais quelles Г©taient ses chances de rГ©ussite ? A supposer qu'ils obtiennent des preuves susceptibles de convaincre la plupart, Vars accepterait-il d'annuler le mariage ? C'est lui qui avait fait pression pour que la noce ait lieu sans tarder.

Peut-être, dès lors que leur père se réveillerait, mais son idée était plus rapide, plus expéditive, et … Finnal le méritait. Personne n'avait le droit de menacer la sœur d'Erin.

Elle attendit jusqu'Г  ce qu'elle entende des voix en contrebas.

"…le plus grand cheval bai," dit Finnal, quelque part en bas.

"Mais monsieur, ce cheval appartient au Prince Rodry."

"Et je souhaite honorer sa mémoire en l'offrant à sa sœur. Elle distinguait le haut de sa tête aux cheveux bouclés. "N'oubliez pas que je suis son mari et que les terres que je possède comptent désormais … hmm, d'où est originaire votre famille, déjà ?"

La menace était à peine voilée, ce qui ne fit qu'ajouter à la colère d'Erin. Cet homme faisait preuve de cruauté depuis qu'il exerçait le pouvoir, il avait bien trompé son monde. Pis encore, il essayait de voler son frère mort et menaçait sa sœur. Erin ne le supporterait pas.

"A moins que je demande au palefrenier."

"Excellente idГ©e. J'attendrai," dГ©crГ©ta Finnal.

Le garçon d'écurie ne comptait visiblement pas lui poser la question mais n'avait pas le choix, Finnal attendait. Unique avantage : Finnal resta seul dans les écuries, chevaux mis à part, en pleine ligne de mire d'Erin. Erin s'empara du fourreau de sa lance, le cœur battant à tout rompre. Elle pouvait y arriver, elle devait y arriver, pour sa sœur.

L'angle n'Г©tait pas idГ©al, Erin changea de position sur le toit, ou du moins, essaya. Son pied traversa le toit de chaume, elle lutta pour ne pas crier, elle avait failli tomber. Elle parvint Г  se rГ©tablir en plantant sa lance dans le chaume.

Erin s'accroupit hors de sa vue de longues secondes. Elle entendait marcher sur le mur d'enceinte mais savait que les gardes ne pourraient pas la voir de lГ  oГ№ ils Г©taient. Elle Г©tait plus prГ©occupГ©e par la probabilitГ© d'avoir effrayГ© Finnal. Elle osa malgrГ© tout regarder par l'interstice mГ©nagГ© dans le toit des Г©curies, il Г©tait toujours lГ , Г  observer les chevaux comme s'il essayait de dГ©terminer auquel prГ©tendre.

Erin brandit sa lance, ajusta sa prise, prête à tirer. La lance était courte, mais elle ne doutait pas de réussir à la propulser d'ici et atteindre Finnal en plein cœur. Erin inspira profondément, stabilisa sa main, sentit la tension monter et—

Une main se referma sur la hampe de la lance, arrГЄtant son geste.

"Vous comptez le tuer en plein jour ?" murmura Odd, dГ©sapprobateur.

Erin lui tournait le dos. L'ancien chevalier portait toujours l'habit de moine de l'Ile de Leveros, son Г©pГ©e en travers du dos. Elle ne s'attendait pas Г  ce qu'il se dГ©place aussi silencieusement.

"Il doit mourir," siffla Erin, Finnal s'Г©loignait alors mГЄme qu'elle jetait un Е“il par l'ouverture.

"Que se passera-t-il lorsque vous l'aurez tuГ© ?" demanda Odd. Il n'avait toujours pas lГўchГ© son arme. "Primo, votre lance sera fichГ©e dans sa poitrine. Princesse ou pas, on ne peut tuer le fils d'un duc impunГ©ment. Vous seriez pendue !"

"Même Vars n'oserait pas me faire pendre," déclara Erin. "Et pour protéger Lenore—”

"Pour protГ©ger votre sЕ“ur, vous devez rester en vie !" aboya Odd en Г©cartant Erin. "Faites en sorte de ne pas vous retrouver Г  moisir dans un cachot, et dГ©clencher une guerre civile qui nous tuera tous."

"Tuer ce … cet individu mettra fin aux problèmes, au contraire," insista Erin.

"Pas quand la moitiГ© des nobles le soutiennent, lui et son pГЁre. Cela montrerait au royaume que la monarchie essaie de gouverner sans prendre le moindre avis, ni faire preuve de modГ©ration. Faites preuve de sagesse, Erin."

"Vous ГЄtes donc tant au fait ?" lГўcha Erin, en regardant Odd et les chevaliers. "Croyez-vous que je ne sache pas qui vous ГЄtes, qui vous Г©tiez ? Vous n'avez certes pas hГ©ritГ© du surnom de Sire Oderick le Sage !"

"Non, ils m'ont surnommГ© le fou." Il dГ©gaina son Г©pГ©e Г©tincelante du fourreau en un Г©clair, Erin esquiva de justesse avec sa lance. "Ils m'ont traitГ© de fou. Ils disaient que j'Г©tais un monstre."

Il frappa encore et encore, forçant Erin à reculer, pas à pas.

"Vous croyez que la colère est bonne conseillère ? Je ne connais que ça, la colère." Il frappa encore et encore, Erin était suffisamment hors d’elle pour riposter. Elle avança d'un pas et …

… sauf qu'il n'y eut pas de "et", Erin était au bord du toit. Elle chuta, lâchant sa lance. Elle crut se briser les os sur les pavés plus bas. Sauf qu'Odd ne l'avait pas seulement poussée vers le bord du toit, mais vers le seul endroit avec un point d'eau juste en-dessous. Erin atterrit dans une gerbe d'eau, fut brièvement submergée et ressortit en crachotant.

Odd Г©tait dГ©jГ  en bas, lui tendait sa lance.

"Г‡a va mieux ?"

"Je me demande ce qui me retient de vous tuer," dit Erin, face à son regard lourd de sens. "Mais … pas encore. Vous avez raison. Je ne peux pas simplement le tuer, n'est-ce pas ?"

Odd secoua la tête et lui lança sa lance. "Nous trouverons un autre moyen. Votre sœur a contracté une union dangereuse, elle a moins d'amis qu'elle ne le pense."

"Elle m'a moi," rГ©torqua Erin en sortant de l'eau.

"Nous", rectifia Odd.

Erin n'en doutait pas ; elle Г©tait reconnaissante de bГ©nГ©ficier de l'aide d'un guerrier aussi vaillant. Finnal pouvait compter sur des appuis, son rang, et mГЄme l'amitiГ© de Vars. En revanche, tout ce qu'Erin avait pour l'aider Г  protГ©ger sa sЕ“ur Г©tait un ex-chevalier vraisemblablement fou. Erin ferait son possible pour veiller sur Lenore, quitte Г  en mourir.




CHAPITRE SIX


Devin examinait – parmi les étranges objets que seul un mage possédait – une carte du royaume dans les appartements de Maître Grey tandis que le sorcier indiquait des points sur cette dernière.

"Mes recherches ont permis d'identifier les lieux oГ№ reposent les fragments de l'EpГ©e InachevГ©e. Un caveau familial dans les collines du grand nord, un sanctuaire Г  l'extГ©rieur d'un village dans les terres au cЕ“ur du royaume," il indiquait un par un une demi-douzaine d'autres lieux.

Devin essayait de comprendre. "Pourquoi dissГ©miner les fragments d'une Г©pГ©e ?"

"Il s'agit d'une arme de pouvoir, une arme trop dangereuse pour ГЄtre laissГ©e aux mains des hommes en temps de paix."

"Y a-t-il eu des périodes de paix récemment ?" demanda Sire Twell le Planificateur à l'autre bout de la salle. Sire Halfin le Rapide se tenait à ses côtés, les deux Chevaliers d'Argent portaient une cuirasse sous leurs manteaux, leurs boucliers n'affichaient pas d’insigne distinctif. Sire Twell avait été blessé à la bataille mais paraissait bien portant. Sire Halfin se dandinait d'un pied sur l'autre, impatient de bouger.

"Les guerres des hommes ne sont pas ce qui m'inquiГЁte," affirma MaГ®tre Grey.

"Alors qu'est-ce qui vous inquiГЁte ?" demanda Devin. Non qu'il attende une rГ©ponse. Qui ne vint d'ailleurs pas.

"Récupérer les fragments de l'épée est primordial," expliqua Maître Grey. "Beaucoup sont cachés à la vue de tous, d'autres dans des endroits plus… dangereux. Tu as prouvé grâce à l'épée forgée pour le mariage que tu sais travailler le métal de météorite."

"Merveilleux," dГ©crГ©ta Sire Halfin. "Voyager ensemble pour rГ©cupГ©rer ce truc. Comme notre pГ©riple Г  la Baie de Cristal."

"Sauf que cette fois, Rodry ne nous accompagnera pas," rГ©torqua Sire Twell, morose. "Est-ce bien nГ©cessaire, magicien ?"

MaГ®tre Grey opina du chef. "Vous ne poseriez pas la question si vous aviez vu ce que j'ai vu."

"Mais justement, je vous la pose," reprit Sire Twell. "Vous comptez envoyer deux chevaliers en pleine zone de guerre."

"J'en enverrais bien plus, si c'Г©tait en mon pouvoir," dГ©clara MaГ®tre Grey. "Mais vous seriez suivis, si la chose venait Г  se savoir. Vous deux, plus Devin, serez plus discrets."

Le chevalier soupira, sa rГ©ponse n'Г©tait manifestement pas ce Г  quoi il s'attendait. "Y ГЄtes-vous suffisamment prГ©parГ© ?"

Maître Grey lui lança un regard étrange. "Depuis plus longtemps que vous ne pourriez l'imaginer, Planificateur. Mais si vous parlez dans l’immédiat… des chevaux, des provisions, des armes et de l'or vous attendent en bas. Tout ce dont vous pourriez avoir besoin."

Ce qui rendit le chevalier, sinon heureux, du moins satisfait.

Sire Halfin se tourna vers Devin. "Et toi ? Penses-tu que ce soit une bonne idГ©e ? Fais-tu confiance au sorcier du roi ?"

Devin ne savait pas trop quoi rГ©pondre Г  l'une ou l'autre de ces questions. MaГ®tre Grey n'Г©tait pas un homme qui inspirait confiance, donnait des rГ©ponses, agissait de maniГЁre inconsidГ©rГ©e, pas Г  la hauteur de ses prophГ©ties insondables. Il savait que leur mission ne serait ni sГ»re, ni facile. Pourtant, il avait vu de ses yeux des choses qu'il n'aurait jamais dГ» voir, il avait lu certaines des rГ©flexions de MaГ®tre Grey quant Г  cet enfant nГ© sous la lune-dragon, Г©lГ©ment vital. S'il Г©tait effectivement cet enfant, n'avait-il pas le devoir d'agir ?

"Je pense que nous devons lui faire confiance," rГ©pondit Devin en tendant la main vers les autres. "Si cela peut aider le royaume, alors nous devons au moins essayer. Vous nous aiderez ?"

Sire Halfin fut le premier Г  serrer la main de Devin. "Je le jure. Si non, Г  quoi serviraient les Chevaliers d'Argent ?"

Sire Twell rГ©flГ©chit un instant de plus et joignit sa main aux leurs. "TrГЁs bien. Je le jure. Mais j'ai une question : comment trouver ces fragments ?"

"Devin saura qu'il s'agit du métal de météorite dès qu'il s'en approchera," déclara Maître Grey. "De plus…" il prit ce qui ressemblait à une carte, et l'étala devant lui. Elle représentait le royaume, montrait les fragments qu'il avait indiqués, mais il y avait autre chose… l'un d'entre eux se déplaçait.

"La magie,“ dit Devin, admiratif et éternellement émerveillé, bien que sachant de quoi Maître Grey était capable.

"La carte vous indiquera l'emplacement des fragments," dit le mage. "Elle devrait vous permettre de vous en approcher. Je suppose que celui en mouvement est en ce moment-mГЄme aux mains d'un marchand, qui le considГЁre comme un vulgaire objet de pacotille."

"Alors nous le rГ©cupГ©rerons," promit Devin. "Et les autres avec."

"Partez sans tarder,В В» dГ©crГ©ta MaГ®tre Grey en posant la main sur l'Г©paule de Devin. "Il ne nous reste peut-ГЄtre plus beaucoup de temps, tous combien nous sommes."

"Je vous le jure," affirma Devin, avant de rГ©flГ©chir un moment. "Mais j'ai d'abord une chose Г  faire."


***

Devin s'approcha des appartements de Lenore, le cœur au bord des lèvres. Il n'était pas certain de pouvoir la voir, encore moins de pouvoir lui parler, ou… ou quoi ? Exprimer ce qu'il ressentait ? Tout lui dire, tout en sachant qu'elle était désormais une femme mariée ?

Devin ne savait que faire, quoi dire, ni jusqu'oГ№ aller. Il savait simplement qu'il devait agir. Il s'Г©tait rendu en ses appartements, fait dГ©jГ  Г©trange en soi. Ne devrait-elle pas ГЄtre dans ceux de Finnal, maintenant qu'elle Г©tait sa femme ?

Il fut d'autant plus surpris lorsqu'une tout autre princesse lui ouvrit la porte, une lance Г  la main, sur le point de l'embrocher.

"Qui ГЄtes-vous ?" demanda la Princesse Erin. "Que voulez-vous ?"

"Tout va bien, Erin," rГ©pondit Lenore derriГЁre elle. "C'est Devin, l'ami de Rodry. Laisse-le entrer."

La Princesse Erin lui lança un méchant acéré, comme si elle s'attendait à ce que Devin sorte un couteau et attaque, mais finit par s'écarter.

"Je suppose que vous pouvez entrer si vous ГЄtes un ami de Rodry."

Devin n'avait jamais vu l'intérieur des appartements, et demeura, l'espace d'un instant, déconcerté. Des rideaux de soie bleue drapaient les fenêtres d'un boudoir, Lenore lisait, assise sur un canapé, une silhouette vêtue d'une robe de bure se tenait légèrement à l'écart, le regard perdu dans le lointain. Devin trouva Lenore plus belle que jamais, la fragilité de ses traits de porcelaine emplis d'une détermination nouvelle suite à son enlèvement, ses cheveux presque noirs étaient désormais attachés dans un style plus simple qui lui convenait mieux encore que ses coiffures travaillées d'alors, fruits du talent de ses servantes, et ses yeux… des yeux que Devin aurait pu contempler éternellement.

"Devin," elle lui tendit la main et l'attira afin qu'il s'asseye auprГЁs d'elle. "C'est bon de vous revoir. Je ne pensais pas que vous viendrez jusqu'ici."

"Ai-je le droit de venir jusqu’à vous ?" demanda Devin, perplexe. "Je … ne voudrais pas vous créer d'ennuis."

Qu'un jeune homme de basse naissance rende visite Г  une princesse dans ses appartements Г©tait inhabituel. Il ne voulait pas risquer de mГ©contenter Lenore.

"Non, je suis contente que vous soyez venu," répondit Lenore, le cœur de Devin bondit. "Je … j'espérais que vous viendriez, mais j'ai pensé que vous n'auriez peut-être pas le temps, Maître Grey vous donne fort à faire. Que vous m'aviez oubliée."

"Je ne pourrais jamais vous oublier," s'exclama Devin, avant de se reprendre. "C'est … j'ai été fort occupé."

"Travailler pour un sorcier doit être étrange. L'épée que vous avez forgé est d'ailleurs fort belle. Je suis persuadée que Rodry aurait…"

Elle ravala le dernier mot, Devin acquiesça, Rodry n'était pas son frère mais il était toujours affecté par sa disparition. "Merci", dit-il, Lenore était la plus à même d'apprécier son ouvrage. "En fait, tel est l'objet de ma venue. Je… Maître Grey m'a confié une mission. Je ne peux pas m'en ouvrir à vous, je vais devoir m'absenter quelque temps."

Devin crut voir une certaine dГ©ception dans son regard, ou bien imaginait-il simplement ce qu'elle ressentait, Г  l'idГ©e de ne pouvoir se voir ?

"C'est… dommage. Vous avoir parmi nous est bien agréable. Il … il me plait de vous savoir ici."

"J'apprГ©cie Г©galement," dГ©clara Devin. "Mais je pense devoir accepter, je tenais Г , eh bien, vous remettre quelque chose avant mon dГ©part." Il se rendit compte de l'interprГ©tation que Lenore risquait de faire de sa phrase. "Le cadeau de mariage que j'ai forgГ© est en dГ©finitive tombГ© entre les mains de votre Г©poux."

"Mon mari, oui," dit Lenore, comme si, l'espace d'un instant, elle avait presque oubliГ© Finnal.

Devin saisit sa chance et prit un petit fragment de métal de météorite récupéré dans la forge. Il l'avait façonné, essayant de mettre à profit ses compétences sur ce fragment, le façonnant en une série de cages sphériques s'emboîtant les unes aux autres, chacune se mouvant librement à l'intérieur. Il avait placé un morceau de verre coloré en son centre, de sorte qu'au moindre mouvement, les sphères issues du métal de météorite changeaient de couleur selon l'orientation et le degré de réfraction de la lumière.

"Ce n'est pas grand-chose. Rien comparé à une épée, mais—”

"C'est magnifique", dit Lenore, en le tenant dans la paume de sa main. "J'adore."

Moi aussi je vous aime, aurait voulu rГ©torquer Devin, mais il ne pouvait pas, il ne devait pas. Pas Г  une princesse ; une princesse mariГ©e, qui plus est.

"Je le garderai prГЁs de moi en souvenir durant votre absence. J'en prendrai grand soin."

"Je … vous m'en voyez ravi," rétorqua Devin. Pourquoi perdait-il son latin en sa présence ? "Je dois y aller, on m'attend."

Il prit briГЁvement la main de Lenore, ne sachant s'il devait lui faire un baisemain ou pas. Probablement pas. Il se leva et se dirigea vers la porte.

“Devin,” le rappela Lenore avant qu'il ne l'atteigne. Il se retourna, plein d'espoir. “Je… vous allez me manquer.”

“Je vous remercie, vous me manquerez aussi,” avant de se précipiter hors de la pièce, se maudissant de manquer d'à-propos.

Essayer de rГ©cupГ©rer les fragments serait assurГ©ment un exercice plus aisГ© que ce dernier ?




CHAPITRE SEPT


BloquГ© dans un tombeau avec un dragon Г  l'extГ©rieur et les Forces Obscures non loin, Renard s'Г©tait dГ©jГ  retrouvГ© dans des situations bien pires. Il ne savait pas vraiment s'ils Г©taient lГ  mais savait que tel Г©tait certainement le cas.

En thГ©orie, bien sГ»r, il pouvait simplifier la chose : attendre que le dragon parte, et sortir ensuite rejoindre les Forces Obscures. Tout ce qu'il avait Г  faire serait leur remettre l'amulette qui, en ce moment-mГЄme, pompait toute son Г©nergie comme l'aurait fait un rГ©servoir percГ©.

Mais il ne pouvait s'y rГ©soudre. Renard devrait employer la maniГЁre forte.

Il examina soigneusement les murs du tombeau, espГ©rant trouver une issue cachГ©e, une brГЁche ou une galerie qui n'existait pas lorsque les bГўtisseurs avaient bГўti ce caveau Г  flanc de volcan. Une petite issue pratique Г©tait trop demander ?

Apparemment, oui, il sortirait soit par l’itinéraire déjà emprunté à l'aller, soit… soit par l'ouverture ménagée au-dessus de la pièce principale du mausolée. Se jeter dans les bras de la mort ou être capturé par les Forces Obscures en essayant de leur échapper. Vu sous cet angle, le choix était faible.

Renard déverrouilla les portes dorées du tombeau à l’aide de ses outils, sentit la sueur perler sur son front en songeant à ce qui pouvait se trouver derrière, en entendant le déclic. D'autres grattements se firent entendre, le dragon donnait des coups de griffes pour entrer, Renard resta parfaitement immobile jusqu'à ce que le bruit s'arrête. Il laissa une minute, puis deux, s'écouler.

Il pouvait rester assis ici Г  attendre et Г©couter, mais tГґt ou tard, il lui faudrait bouger. Ce qu'il fit, il ouvrit la porte et regarda au dehors. Le ciel s'assombrissait, la lumiГЁre pГ©nГ©trant dans le tombeau dГ©clinait dГ©sormais. Mais Renard n'osa pas allumer sa lanterne, cela attirerait certainement l'attention de la bГЄte. Au lieu de cela, il se faufila Г  l'extГ©rieur, ses yeux essayant d'y voir clair grГўce Г  la luminositГ© naturelle.

La silhouette massive de la créature se tenait là, de l'autre côté de l'enceinte caverneuse. Immobile, pelotonnée tel un chat dans son sommeil, son flanc se soulevait et s'abaissait lentement au rythme de sa respiration. Renard gardait ses distances, soupçonnant qu'elle s'éveillerait au moindre bruit.

Il inspecta les parois internes du tombeau de son mieux malgrГ© la faible luminositГ©. Les soubassements Г©taient richement ornГ©s de sculptures ; escalader serait simple comme bonjour pour quelqu'un comme lui. Plus haut nГ©anmoins, les pierres semblaient cГ©der la place Г  la roche naturelle, l'ascension lui parut bien plus difficile que la prГ©cГ©dente.

C'était soit ça, soit rester ici jusqu'à ce que le dragon se réveille, Renard entama son ascension. Il démarra, utilisant la statue d'un guerrier oublié pour assurer sa prise, avant de s'élancer et atteindre des pierres situées plus haut. Son corps effectua un mouvement ascendant, se contorsionnait au fur et à mesure, se déplaçait de plus en plus haut.

Renard poussa un cri lorsque le visage de pierre d'une gargouille qu'il utilisait comme prise céda, une partie commença à s'effriter. Ses réflexes étaient heureusement encore bons, il tendit la main pour la rattraper, plutôt que la laisser s'écraser au sol. Renard demeura un instant suspendu d'une seule main, s'agrippant de l'autre à un visage de pierre goguenard qui semblait trouver tout cela très drôle. Si ça le faisait rire, tant mieux.

Il tГўtonnait prudemment Г  l'aide de ses pieds, en quГЄte de points d'appui qui le soutiendraient. Il posa d'un geste sГ»r la pierre face contre terre sur un Г©peron rocheux, lГ  oГ№ elle ne pourrait pas tomber et risquer de troubler le sommeil du dragon juste en dessous.

Il se déplaçait plus rapidement maintenant, sachant qu'il ne tiendrait plus bien longtemps. Il se déplaçait d'une prise à l'autre, tendant la main ou le pied, faisant basculer son poids. Il essaya de se frayer un chemin parmi la végétation au-dessus et retint subitement son souffle, un problème venait de surgir.

Des rochers Г©taient tombГ©s, ne laissant aucune place Г  une prise. Cela n'aurait pas Г©tГ© un problГЁme s'il avait eu du temps malgrГ© l'espace laissГ© vacant, Renard aurait utilisГ© ses marteaux et maillets afin de se frayer un passage. Il l'avait dГ©jГ  fait dans la chambre forte d'un marchand, toucher le sol aurait inГ©vitablement dГ©clenchГ© une armada de piГЁges. Mais il ne savait pas combien de temps il lui restait avant que le dragon ne se rГ©veille, il ne pouvait pas courir le risque de faire tinter un marteau contre la roche. Une seule solution s'imposait : sauter, franchir l'espace vacant et ainsi atteindre la prochaine prise.

Renard envisagea un instant de rejoindre le plancher des vaches, sortir par la galerie principale et essayer de se faufiler sans être repéré par les Forces Obscures. Il doutait, cependant, que son plan fonctionne. Ils l'attraperaient, et alors…

Oui, il y avait largement pire que la chute.

Il jeta un coup d'Е“il en contrebas, le dragon ouvrit un de ses immenses yeux dorГ©s.

Renard bondit comme s'il avait le diable au corps. Il entendit le dragon rugir et se propulsa en hauteur, son corps semblait comme suspendu dans l'espace un temps infini avant que ses mains ne retrouvent la sГ©curitГ© d'une prise dans la roche. Une roche tranchante entailla ses mains mais il n'en avait cure, seulement prГ©occupГ© Г  se hisser, Г  l'air libre, sur le flanc supГ©rieur du volcan.

Le dragon quitta son repère et s'élança vers l'azur d'un puissant battement d'ailes. Il tournoyait, Renard crut l’espace d’un instant qu'il ferait demi-tour et foncerait droit sur lui. Quelque chose semblait le distraire, une proie au loin ou autre chose peut-être. Il s'envola à l'horizon en battant vigoureusement des ailes.

Renard resta allongГ© sur le dos de longues secondes, essayant de reprendre son souffle aprГЁs la terreur des derniers instants. Mais il ne pouvait pas rester ainsi bien longtemps, n'ayant aucun moyen de savoir quand la bГЄte dГ©ciderait de s'occuper de son sort. Pire, la crГ©ature disparue, les Forces Obscures risqueraient de le suivre dans le mausolГ©e, et constateraient sa disparition.

Il se força à se relever, ne serait-ce que parce qu'il aurait besoin d'avance pour affronter de tels ennemis ; car ils étaient désormais ses ennemis. Il l'était devenu en les défiant, en refusant de les rejoindre pour leur remettre l'amulette.

Ils l'auraient probablement tué de toute façon, c’est évident. Ce genre d'individus était du genre à berner un voleur. Et le code d'honneur ? Bien sûr, il se mettait encore plus en danger ce faisant. Que feraient-ils à Yselle ou aux autres sur les terres de Lord Carrick ?

Renard espérait juste qu'ils seraient trop occupés pour partir à sa recherche, c'est bien connu, l'espoir fait vivre. Il descendit le flanc le plus éloigné du volcan en direction des terres situées en contrebas, il avançait rapidement maintenant. Il sentait le mince filet d'énergie s'échapper de l'amulette, qui se cantonnait à un filet tant qu'il n'essayait pas de s'en servir.

Il poursuivit son chemin, il avait atteint les contreforts du volcan lorsqu'il se retourna et aperçut les trois silhouettes loin derrière. Néant, Colère et Nature s'étaient visiblement aperçus de sa traîtrise, autant dire qu'il valait mieux courir.

Il courut comme un dГ©ratГ© en direction des champs, autour de lui, le paysage respirait le danger. Un arbre tordait ses branches vers lui, Renard s'Г©carta de justesse. Une pierre coupante, hГ©rissГ©e de pointes tranchantes comme des rasoirs, le contraignit Г  se jeter Г  plat ventre. Il se releva et poursuivit sa course.

Il sauta par-dessus un muret de pierre et courut Г  travers champs en slalomant, faisant profil bas, espГ©rant que les sombres secrets qui animaient les Forces Obscures n'aient qu'une portГ©e limitГ©e. Renard regarda en arriГЁre, crut que les cultures le cacheraient Г  leur vue, mais il savait qu'il lui fallait poursuivre. La fuite rythmait sa vie depuis toujours, il avait suffisamment de recul pour savoir que cela ne rimait Г  rien.

Il continua d'avancer pour atteindre un ruisseau large, boueux et vraisemblablement profond jusqu'à la taille. Au-delà s'étendait un terrain dégagé largement à découvert, à peine ponctué de quelques arbres et buissons. Un homme comme Renard pourrait s'y cacher, mais pour combien de temps ? Il devait exister un meilleur moyen. Renard songea en voyant la rivière que sa solution était toute trouvée, mais que se passerait-il si—

"Nous te retrouverons !" Г©ructa ColГЁre quelque part derriГЁre lui. "Et alors, je ferai fondre tes yeux hors de tes orbites !"

Sa dГ©cision Г©tait prise, ni une ni deux, Renard prit une profonde inspiration, plongea en eaux troubles et s'accroupit au fond.

Les eaux vaseuses l'engloutirent instantanГ©ment Г  la face du monde, il n'apercevait plus que des ombres. L'eau Г©tait froide et le courant puissant mais Renard demeurait immobile, n'osant bouger alors que les trois individus parurent sur les berges. L'Г©cho de leurs voix venait jusqu'Г  lui.

"… où est-il passé ?" demanda Colère, ivre de fureur.

"Nous le retrouverons," rГ©pondit Nature de sa voix suave, avant de crier "Sors de lГ , cher Renard. Montre toi !"

Les membres de Renard s'animèrent au ton de sa voix, comme animés d’une volonté propre. Il dut se faire violence pour se contenir et rester immobile, produire un effort surhumain. Ses poumons réclamaient de l'air, mais alors, il remonterait à la surface et surgirait juste devant les Forces Obscures. La terreur de ce qui risquait de lui arriver lui donna l'énergie nécessaire pour se maintenir sous l'eau.

Mais combien de temps tiendrait-il sans se noyer… Les poumons de Renard brûlaient, tandis qu'au-dessus, Néant regardait autour de lui, encore plus effrayant que les autres avec son masque blanc.

"Continuez. Trouvez-le. Trouvez cet objet."

Nature surplombait la berge juste au-dessus de Renard. Des branches et des lianes s'étendaient sur la rivière, formant un pont végétal qui grinçait et se mouvait au fur et à mesure que les trois individus le traversaient, poursuivant leur traque.

Renard remonta Г  la surface longtemps aprГЁs qu'ils aient disparu de sa vue. Il attendit jusqu'Г  ce que son champ de vision soit presque complГЁtement obscurci, chaque seconde passГ©e Г©tait une seconde gagnГ©e sur ses poursuivants, qui s'Г©loignaient.

N'en pouvant plus, il remonta finalement Г  la surface en haletant.

"Bon sang. Qu'ils aillent au diable !"

Il brandit l'amulette octogonale contenant une Г©caille de dragon, entourГ©e de runes et de gemmes de diffГ©rentes couleurs. C'Г©tait ce qu'ils voulaient, mais Renard savait qu'il ne pouvait pas donner un objet si puissant Г  pareils individus. Il ne pouvait pas non plus la conserver, son Г©nergie le rongeait peu Г  peu.

Ce dont il avait vraiment besoin, c'Г©tait qu'un sorcier lui dise quoi en faire, mais Renard n'y connaissait rien. Il n'avait aucune expГ©rience en matiГЁre d'amulette magique, aucune expГ©rience des dragons ou des phrases Г©tranges capables de renverser l'ordre Г©tabli, aucune de ces bizarreries. Mais, il avait, heureusement, une grande expГ©rience du vol.

Il savait exactement oГ№ se dГ©barrasser de cet objet.




CHAPITRE HUIT


Le grand salon était déjà comble lorsque Vars y pénétra. La foule était si nombreuse que les grands tapis qui délimitaient en temps normal les courtisans selon leur rang avaient été disposés de façon approximative. Etaient présents les nobles, ainsi que les dirigeants des Maisons des Marchands, des Armes, des Lettrés et même des Soupirs. Les portes du fond étaient ouvertes afin que tous puissent écouter, les bannières aux murs claquaient au vent.

Presque autant que leurs bouches. Vars n'avait jamais apprГ©ciГ© le brouhaha de la cour, toutes ces voix qui caquetaient en mГЄme temps l'irritaient d'autant plus.

"Nous devons surveiller la Slate," dit un nobliau.

"Pourquoi ?" rГ©torqua un chevalier. "Au cas oГ№ Ravin construirait des ponts pendant que nous avons le dos tournГ© ?"

“Exactement,” répondit l'homme, visiblement oublieux de sa propre stupidité.

“Nous devons nous consulter et unir nos forces,” dit le Commandant Harr. Le commandant des Chevaliers d'Argent se tenait là dans son armure, sa barbe grise descendait sur son plastron, Vars se demandait s'il ne dormait pas avec. “Nous ne devons laisser aucune brèche dans nos lignes de défense.”

"Cela signifie que nous devons en assumer le coГ»t ?" demanda le chef de la Maison des Marchands, il portait tant de chaГ®nes en or qu'une seule aurait probablement suffi Г  financer la guerre.

"Nous devons Г©tudier ce qui se passe," dit le chef des lettrГ©s, austГЁre avec sa robe sombre et son crГўne rasГ©.

"Nous devons augmenter la production," ajouta le reprГ©sentant de la Maison des Armes.

La patronne de la Maison des Soupirs gardait le silence, visiblement satisfaite d'assister Г  cet Г©change. Vars n'avait que faire de l'avis d'une simple courtisane.

Vars demeurait dans l'ombre du trГґne, les Г©coutant poursuivre, attendant que l'un d'eux remarque sa prГ©sence. Les secondes passГЁrent Г  se chamailler, les uns disant d'attendre, d'autres, d'aller de l'avant. Aucun consensus ne semblait prendre forme, chaque partie en prГ©sence ayant ses propres stratГ©gies, ses propres idГ©es sur quelles troupes devaient aller oГ№ et comment, qui devrait payer.

Il sentit sa colère monter, colère balayant même sa peur face à cette assemblée. Il s'avança vers le trône et se planta devant délibérément.

"Silence !" Seuls certains d'entre eux se turent. "Si vous ne faites pas silence, je fais Г©vacuer la salle par les gardes !"

Le calme se fit enfin. Tous le regardaient dans un silence pesant. L'angoisse qui s'Г©tait emparГ©e de Vars n'a fit qu'aggraver son Г©tat. Il se sentait petit et vulnГ©rable avec tous ces regards rivГ©s sur lui, Vars dГ©testait cela.

"Je suis désormais le roi !" lança-t-il, en défiant leurs regards. "Vous parlez comme si c'est vous qui décidiez de l'invasion, c'est moi qui décide !"

"Votre Altesse," dit un comte en s'avançant. "Sauf votre respect, cette décision concerne le royaume en son entier, et votre père est toujours en vie. Il est important que toutes les parties en présence aient leur mot à dire."

Vars lui jeta un regard furieux. "Vraiment ? Vous souhaitez peut-ГЄtre demander leur avis aux paysans qui travaillent votre terre ?"

L'homme fut pris au dГ©pourvu. "Votre Altesse, les nobles ne sont pas des paysans. Notre position vis-Г -vis de vous n'est pas la mГЄme que la leur par rapport Г  nous."

"On s'adresse Г  un roi en lui donnant du votre majestГ©," lui rГ©pondit Vars.

"Mais vous ГЄtes le rГ©gent, Votre Altesse," rГ©torqua un autre noble, que Vars reconnut comme Г©tant le Marquis d'Underlands. "Nous devons respecter toute dГ©cision prise Г  cet Г©gard, mais il est Г©galement vrai que vous n'ГЄtes que second dans l'ordre d'accession au trГґne. Aucune dГ©cision dГ©finitive n'a encore Г©tГ© prise."

"Une dГ©cision dГ©finitive Г  quel sujet ?" tempГЄta Vars, sentant la situation lui Г©chapper.

"Quant Г  savoir si vous serez roi," rГ©pondit le marquis.

Vars aurait voulu décapiter cet homme pour son affront, l'étrangler à mains nues. Sauf que… le marquis était un homme grand, Vars sentit la peur le terrasser, le pétrifier, l'empêchant de faire ce qu'il voulait désespérément faire.

"De tels propos frisent la trahison, mon seigneur," dit une voix dans son dos. Vars poussa un soupir de soulagement en reconnaissant Finnal, qui se frayait un chemin parmi la foule. "Mon pГЁre ne validerait certainement pas."

L'homme recula légèrement. "Ce n'était pas dans mes intentions. Simplement que les rôles traditionnels de la noblesse doivent…"

"Le rГґle traditionnel de la noblesse est de soutenir le roi," dГ©clara Finnal en esquissant un geste en direction de Vars. "Poursuivez, je vous prie, MajestГ©."

Vars reprenait confiance, rassГ©rГ©nГ© par le soutien de Finnal.

"D'aprГЁs nos informations, les hommes du Roi Ravin attaquent via l'Ile de Leveros," dГ©clara Vars. "Ma propre sЕ“ur a pris des risques pour nous apporter cette information."

Erin considérait désormais sa sœur qui avait agi de façon utile. Elle redeviendrait bientôt sa demi-sœur.

"Nous en sommes conscients," affirma le Commandant Harr. "La question est de savoir quoi faire pour les contrer. Les implications militaires sont complexes, et—”

"La situation militaire est simple," dГ©crГ©ta Vars. "Notre ennemi ignore que nous possГ©dons ces informations. Nous savons qu'ils attaquent au nord. Ils pensent que nous sommes encore sous le choc de l'attaque des ponts du sud. Nous irons par consГ©quent Г  leur rencontre."

"Qu'est-ce Г  dire ?" demanda le Commandant Harr. Le vieil homme avait une maniГЁre bien Г  lui de poser des questions Г  Vars, qui lui donnait l'impression d'un ignare. "Quelles troupes devons-nous envoyer, lesquelles laisser derriГЁre nous ?"

"Mais enfin Commandant. Nous enverrons vos chevaliers."

"Tous ?" s'exclama le reprГ©sentant de la Maison des Armes. "Royalsport resterait sans dГ©fense ?"

"Les gardes resteront ici, Г©videmment," poursuivit Vars. "Ainsi que les escortes privГ©es de mes fidГЁles nobles." Il les regarda tous afin de s'assurer de leur loyautГ©. "Mais les Chevaliers d'Argent iront vers le nord pour affronter la menace, avec autant de soldats possibles en mesure de se dГ©placer rapidement. Nous les attaquerons dГЁs qu'ils dГ©barqueront, et les prendrons par surprise."

Le gГ©nie de ce plan rГ©sidait dans sa simplicitГ© et sa rapiditГ©. Cela signifiait Г©galement que les combats se dГ©rouleraient loin de la capitale. Vars s'attribuerait le mГ©rite de la victoire, sans jamais approcher du combat. Le plan idГ©al.

"Je ne pense pas—” commença le Commandant Harr, mais Vars l’interrompit.

"Nous sommes en position de force. Notre ennemi croit nous avoir bernГ©s, peut semer la dГ©solation dans le nord du royaume Г  sa guise. Cette situation ne durera pas. Il s'attend Г  ce que des messagers se dirigent vers le sud aprГЁs son arrivГ©e. Nous devons agir dГЁs Г  prГ©sent. Nous devons tout mettre en Е“uvre pour en finir. La tГЄte du Roi Ravin finira sur une lance, nous lui montrerons que le Royaume du Sud ne peut nous atteindre, ne peut enlever ma sЕ“ur, tuer mon frГЁre, assassiner mon pГЁre !"

Vars n'en avait cure mais si ses courtisans s'en souciaient, alors il les utiliserait pour parvenir Г  ses fins.

Les discussions reprirent bon train. Ils auraient dГ» applaudir son plan, chanter ses louanges, mais se mirent Г  Г©changer. Tous parlaient en mГЄme temps, Vars ne distinguait que des bribes de conversation.

"Les précédents historiques sont inquiétants…" déclara le chef des lettrés.

"Nous allons assumer le fardeau d'une telle dГ©cision," rГ©torqua un comte.

"…sans parler des conséquences selon les terres traversées," dit un des chevaliers, comme si un simple chevalier avait son mot à dire.

MГЄme la patronne de la Maison des Soupirs semblait vouloir ajouter son grain de sel, elle chuchotait Г  ses voisins des paroles que Vars ne pouvait entendre. ГЂ son grand Г©tonnement, certains d'entre eux acquiescГЁrent, comme si la femme de cetteMaison-lГ  Г©tait plus au fait de la guerre que le rГ©gent.

"…devrions attendre les ordres du Roi Godwin à son réveil," dit un noble, Vars sentit sa rage gronder.

Finnal s'interposa une fois de plus, mains levГ©es. "Mes seigneurs, mesdames. Nous avons eu de nombreuses occasions d'en discuter, mais le temps est venu d'agir. Le rГ©gent a pris une dГ©cision pour le bien du pays, Г  nous d'agir. Je le dis maintenant, en tant que membre de sa famille et en tant qu'ami, le RГ©gent Vars tient notre sГ©curitГ© Г  cЕ“ur. Nous devons agir ; nous attaquerons les troupes du Roi Ravin au nord sur le champ !"

La foule l'acclama, Vars lui en sut grГ©, d'autant plus lorsqu'il vit que les chevaliers se mettaient en branle parmi la foule, se dirigeaient vers la cour pour rassembler des provisions. Il Г©prouva une vive satisfaction Г  l'idГ©e que les gens lui obГ©issent, mГЄme s'il avait fallu que Finnal s'en mГЄle.

Mais en même temps, il était en colère. En colère qu’on ait osé le défier, l'ait remis en question, l'ait regardé de haut, il n'avait de régent que le titre. Une situation qu'il ne pouvait pas se permettre de supporter, une situation qu'il ne supporterait pas.

Il devait agir.




CHAPITRE NEUF


Le Roi Ravin se tenait Г  la proue de son vaisseau amiral, son armure Г©tincelait, un vrai hГ©ros, sa couronne posГ©e sur ses boucles brunes, la main sur la garde de son Г©pГ©e, veillant Г  avoir l'air d'un roi guerrier, tandis que son armada se rapprochait de la cГґte d'Astare.

Il ressentit une vive satisfaction. Il Г©prouvait toujours une certaine joie sachant que les choses se passaient toujours comme prГ©vu, qu'il s'agisse de chasser une proie, sГ©duire une femme ou conquГ©rir un royaume.

Il avait éprouvé la même satisfaction en s’emparant du trône de son père voilà bien des années, il l'avait ressenti avec chaque groupe de mercenaires infiltré dans le Royaume du Nord sur ses ordres, chaque espion qui rapportait de plus amples informations sur le territoire, les villages, les marchandises. Il avait planifié chaque détail de la future conquête qui se déroulait maintenant exactement selon ses plans.

Il savait que ses hommes le surveilleraient, attendraient ses ordres. DГ©jГ , une douzaine de ses navires attaquaient la citГ©, le reste attendait, sous son autoritГ©. Pas un homme n'aurait osГ© agir sans son commandement, et pas seulement parce qu'ils savaient tous qu'agir sonnerait leur mort ou celle de leurs familles. Tous les hommes prГ©sents savaient qu'ils n'Г©taient qu'un maillon de la chaГ®ne, que seul leur roi maГ®trisait le plan dans son ensemble.

Tout Г©tait pour le mieux. Un roi qui confie ses plans ne demeure pas roi longtemps. Il n'y avait qu'Г  voir son idiot de pГЁre, qui avait confiГ© Г  Ravin la moindre de ses pensГ©es, la moindre rГ©flexion. Sa mort avait facilitГ© l'unification du royaume.

"Alors ?" dit Ravin en se tournant vers le pont du navire. Les commandants attendaient, un de la flotte, un des soldats et un troisiГЁme vГЄtu de l'habit ordinaire des mercenaires. Un lettrГ© portait le message d'un pigeon voyageur. Il avait l'air terrifiГ©, Ravin le fit attendre exprГЁs et demanda Г  l'amiral de la flotte d'avancer d'un geste du doigt.

"Votre MajestГ©. Le voyage depuis Leveros n'a subi que des pertes minimes. Des troupes du dГ©tachement prГ©cГ©dent ont dГ©barquГ©, conformГ©ment Г  vos ordres, elles sont dГ©sormais de retour en position au sein de la flotte. Les autres navires attendent votre ordre pour accoster."

Ravin s'adressa au commandant des troupes qu'il avait envoyГ© Г  Astare. "Et vous ?"

L'homme s'inclina. "Votre Majesté, l'assaut de la ville est en cours. Ses défenses sont minimes, nous prévoyons de la contrôler d'ici quelques heures. Les hommes ont reçu ordre de tuer tous ceux qui résisteraient."

"Et mes mercenaires ?" demanda Ravin au troisiГЁme homme.

"Ils sont Г  leur poste dans les colonies du royaume, prГЄts Г  recevoir vos troupes provenant d'Astare jusqu'Г  Royalsport."

Le Roi Ravin hocha la tГЄte et se tourna enfin vers le messager terrifiГ©. "Vous allez m'annoncer que mes troupes dans le sud ont Г©tГ© vaincues."

Ce n'Г©tait pas une question, mais l'homme hocha tout de mГЄme la tГЄte. "Le Roi Godwin est tombГ© au combat, le Prince Rodry est mort mais ils ont rГ©ussi Г  capturГ© la Princesse Lenore, le pont a Г©tГ© dГ©truit alors que vos troupes se trouvaient dessus," avoua l'homme pГ©niblement.

Le Roi Ravin haussa les Г©paules et vit le messager Г©carquiller les yeux de surprise. "Pensiez-vous que je n'avais donc rien prГ©vu ? L'attaque au sud Г©tait destinГ©e Г  Г©chouer depuis le dГ©part, qu'est-ce que Г§a peut me faire qu'ils aient capturГ© une princesse ?"




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